Le combat dans l’île (1961) d’Alain Cavalier avec Romy Schneider, Jean-Louis Trintignant, Henri Serre, Maurice Garrel

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Il n’est pas inintéressant de redécouvrir aujourd’hui le premier long-métrage d’Alain Cavalier alors que celui-ci a totalement changé de style et qu’il tourne désormais ses films seul avec sa petite caméra numérique (par exemple, les remarquables Irène et Le filmeur). Avant de parvenir à cette forme minimaliste, proche du « journal intime », il fut un cinéaste « classique », débutant au moment de la Nouvelle Vague et n’hésitant pas à faire tourner des vedettes (Schneider et Trintignant ici, Delon dans L’insoumis) pour aborder des sujets graves et politiques. Qu’il pût y avoir des attentats au bazooka et des règlements de compte à coups de revolver dans un film de Cavalier peut faire sourire aujourd’hui lorsqu’on connaît les dernières œuvres du cinéaste.

Un des aspects les plus souvent soulignés à propos du Combat dans l’île lorsqu’il est évoqué dans les histoires du cinéma sont les allusions à la guerre d’Algérie, cette guerre sans nom prétendument ignorée par les films français de l’époque (et pourtant, outre le film de Cavalier, il en est question dans Le petit soldat de Godard et dans Les parapluies de Cherbourg de Demy, entre autres). Bien entendu, Cavalier n’aborde pas le sujet de front mais en racontant l’histoire de ce jeune militant d’extrême droite (la réserve et la fausse timidité de Trintignant font merveille lorsqu’il s’agit de composer ce personnage ténébreux, bouillonnant de violence rentrée et capable du pire par idéologie) fomentant un attentat contre un ministre en vue ; il renvoie aux attentats perpétrés à la même époque par l’OAS (le film eut d’ailleurs quelques démêlées avec la censure). 

Mais le combat dont il est question dans le titre n’est pas uniquement politique. Il l’est dans la mesure où Clément (Trintignant, donc) va devenir le rival de son ami d’enfance Paul (Henri Serre, qui incarnera Jim dans le trio célèbre orchestré par Truffaut), imprimeur et metteur en scène de théâtre qui refuse la violence et qui incarne le démocrate progressiste.

Mais il est aussi sentimental : l’opposition des deux frères de sang aurait pu n’être qu’idéologique mais elle devient passionnelle lorsque Anne (Romy Schneider, sublimement belle et, comme toujours, à fleur de peau) finit par quitter son époux en cavale pour tomber amoureuse de Paul. D’une certaine manière, Le combat dans l’île peut se voir comme une version sombre de Jules et Jim.

L’aspect le plus intéressant du film de Cavalier me semble être d’ailleurs cette manière qu’il a d’ausculter le couple « moderne » et sa crise, s’inscrivant en cela dans le sillage d’un Resnais (on pense à Muriel ou le temps d’un retour, autre film de l’époque –mais postérieur- qui fait allusion à la guerre d’Algérie) ou d’Antonioni. Formellement, Le combat dans l’île est plus « classique » et moins audacieux que ces références mais le cinéaste parvient quand même à saisir sur le visage des acteurs une sorte de malaise assez caractéristique de l’époque.

Et il a le talent de fouiller au cœur des aspects politiques et sociaux qui semblent à l’origine des barrières s’érigeant entre les individus. Il ne s’agit pas pour le cinéaste de surligner grossièrement des liens de cause à effet mais de montrer comment la situation d’un couple se dégrade et se détruit à cause de divergences idéologiques et politiques.

Lorsque Clément présente à Anne, au début du film, son mentor Serge ; la jeune femme lui rétorque : « Ton ami, je ne l’aime pas, il est vieux, il me fait peur ». Petite phrase anodine mais qui résume assez bien le propos du film. Clément et sa milice d’extrême droite rêvant de casser du communiste et désireux de redorer le blason d’un Occident décadent incarne un monde « vieux », qui doit périr. En ce sens, le film de Cavalier, comme toutes les œuvres de la Nouvelle Vague (dont il est un cousin indirect), se définit par son opposition à un monde sénile (on ne dira jamais assez combien la France des années 50 et 60 fut imbibée de ce pétainisme odieux qui revient en force aujourd’hui) qu’il fallait combattre et détruire.

Qu’Anne finisse par attendre un bébé de Paul sonne alors comme un espoir et un rayon de soleil dans un film globalement sombre et pessimiste…  

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