La critique de cinéma à l'épreuve d'Internet (2014) sous la direction de Gilles Lyon-Caen. Éditions L'entretemps (Horizon du cinéma. 2014)

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Difficile pour moi de parler objectivement de ce court ouvrage consacré aux mutations de la critique cinématographique à l'heure d'Internet. D'abord parce qu'il a été coordonné par Gilles Lyon-Caen que je connais « virtuellement » et qui participa cet été aux festivités des 10 ans de ce blog (soupçons de connivence). D'autre part, si d'aventure j'avançais quelques arguments pour reprocher à cet essai de ne pas aborder la complexité du phénomène Internet (je le ferai quand même), on pourrait me rétorquer que je suis tout simplement piqué de ne pas y être cité (soupçon de vexation). Ce n'est pas le cas, je vous le promets.

Les sept contributions (plus le texte introductif de notre ami Gilles) constituent néanmoins une bonne entrée en matière sur le sujet et l'on pourrait dire de l'ouvrage, à condition de ne rien voir de péjoratif dans l'expression, qu'il présente clairement les « banalités de base » d'une réflexion qui s'est engagée depuis quelques années.

 

Pour le dire schématiquement, les positions quant à la critique sur Internet se scindent en deux : ceux qui voient dans cette émergence un « danger » (relativisme généralisé, disparition de l'expertise, dispersion de l'information...) et ceux qui découvrent un nouvel espace de liberté où tout est possible, pour le meilleur comme pour le pire. Mais davantage qu'une exploration de la critique sur Internet, l'essai se concentre davantage sur la fin d'un « modèle unique » de critique.

A ce titre, les deux essais les plus intéressants sont ceux qui analysent les mutations du statut de critique et ce que l'arrivée d'Internet a provoqué dans le modèle classique de cette critique dite traditionnelle. Antoine de Baecque dresse un brillant petit panorama de l'histoire de la cinéphilie et l'éclatement de cette communauté dont les pratiques ont été profondément bouleversées depuis une quinzaine d'années. En courts paragraphes, U.T analyse de manière incisive les travers que connaît désormais une critique soumise aux impitoyables loi du marché : réduction de la place accordée à l'espace critique dans les journaux, dictature de l'actualité, tentation de la prescription et de la formule toute faite...

Dans le même ordre d'idée, François Bégaudeau s'interroge sur l'art de la critique qui, selon lui, « se positionne à équidistance du subjectivisme de l'opinion et de l'objectivisme de l'étude. » Après avoir , lui aussi, analysé quelques travers de la critique (notamment en pourfendant à très juste titre la critique « idéologique » et « morale » pour définir un travail critique qui ne consisterait pas à « emballer le film dans des généralités qui le noient, mais le découper en autant de scènes, certaines réussies, d'autres moins. »), il se perd à mon avis un peu en nous proposant une longue analyse d'Intouchables.

 

Et Internet dans tout ça ? Finalement, il en est peu question et les deux derniers textes (signés Simon Lefebvre et Sidy Sakho) m'ont fait penser à la récente interview de Michel Ciment dans Les Inrockuptibles à l'occasion de la sortie des « mémoires » du critique. On le sait désormais, Michel Ciment aimerait la constitution d'une sorte de « guide Michelin » pour les blogs afin de s'y retrouver et de trier l'ivraie du bon grain. Or quand il en parle à ses interlocuteurs, ces derniers lui citent immédiatement la revue Zinzolin.

Il ne s'agit pas ici, bien entendu, de remettre en cause les qualités de cette revue (réelles!) mais ce webzine s'inscrit, à mon avis, dans la tradition de ce qui s'est déjà fait sur papier (d'ailleurs, Théo Ribeton de Zinzolin écrit lui aussi pour Les inrocks!). Tout se passe comme si les seuls sites qui méritaient d'être distingués devaient absolument avoir une part de légitimité obtenue grâce à la critique « papier » (c'est ainsi qu'il sera beaucoup question d'Independencia -à savoir des anciens des Cahiers- ou d'Emmanuel Burdeau sur Mediapart).

Pour Simon Lefebvre, pour que la critique existe sur Internet, il faut qu'elle se trouve un territoire sur la Toile, qu'elle le défende et qu'elle impose une voix « reconnaissable ». En gros, il s'agit de refaire virtuellement ce que les revues « historiques » ne peuvent plus faire (ce qui est encore à prouver et je trouve que depuis quelques années, les Cahiers du cinéma tentent de se recentrer sur une ligne qui me semble passionnante).

Des blogs, il ne sera (quasiment) jamais question sauf au détour d'une phrase. Il ne s'agit pas, encore une fois, de prendre les armes et de dénoncer la prétendue fracture entre critique « officielle » et la critique sur Internet d'autant plus que celle-ci est prothéiforme : comment comparer les micro-critiques en 140 caractères de la communauté Vodkaster au style magistral des blogs Cinématique et Balloonatic ? Les sites généralistes qui parlent essentiellement de l'actualité des blockbusters, qui proposent des DVD en cadeau à leurs lecteurs en attendant fébrilement la dernière bande-annonce du prochain Peter Jackson et certains blogs spécialisés qui vont porter un regard très pointu sur des pans méconnus de l'histoire du cinéma ?

On aurait aimé pourtant que des réflexions comme celles d'Adrien Gombeaud (ici) trouvent leur place dans l'ouvrage, non pas tant pour disqualifier un support par rapport à un autre (qui peut prétendre qu'Internet représente la panacée?) mais pour montrer les spécificités de chacun. Pour prendre un exemple, je tiens Joachim Lepastier pour l'une des meilleures plumes de la presse écrite et pourtant, je ne crois jamais avoir retrouvé dans ses textes des Cahiers la singularité, la puissance et le génie de certaines de ses notes de blog. Tout simplement parce que la critique dans une revue et celle sur un blog appartiennent à deux temporalités différentes et n'ont pas les mêmes objectifs.

 

Plutôt que d'analyser ce qui rapproche la critique traditionnelle (en premier lieu, un désir d'écriture) et la critique sur le Net (une totale liberté quant à la forme employée), Sidy Sakho préfère faire le point sur les mutations de l'image depuis les années 90, reprenant à son compte toutes les impasses d'une certaine frange de la critique désireuse d'écrire sur tout : les séries, les jeux vidéos, la télé-réalité (mais qui, aujourd'hui, se souvient de Loft story et qui a envie de considérer cette merde comme une œuvre d'art?), le clip... Le texte me semble un peu hors-sujet et ce qu'avance le critique (qui n'est d'ailleurs pas inintéressant) me paraît relever justement des travers que pointe plus avant Bégaudeau : enrober d'un discours « noble » toutes les images, y compris les plus triviales et les plus vulgaires. Mais où est alors la spécificité du cinéma ? En ce sens, je préfère largement la théorie défendue par Bassan, pourtant passionné par les marges du cinéma et les mutations de l'image mais qui défend néanmoins un cinéma « expérimental » ne relevant que du cinéma (et pas de l'art contemporain, du dispositif, etc.).

 

Au bout du compte, cet essai a le mérite de lancer des pistes de réflexions mais il est aussi un peu frustrant. On me rétorquera que le territoire de la « critique » sur Internet est trop vaste et trop récent pour avoir suffisamment de recul (je rappelle néanmoins que mon blog et celui de mon ami Vincent fêtent cette année leurs dix ans!) mais on aurait aimé trouver un regard qui ne jauge pas ces « nouvelles terres » à l'aune de la critique traditionnelle.

 

Gageons que Gilles Lyon-Caen a voulu poser les prolégomènes d'une réflexion sur ces thèmes et que son livre aura le mérite d’ouvrir le débat...

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