Capitalism : a love story (2009) de et avec Michael Moore

 

Puisqu’il est désormais de bon ton de taper sur Michael Moore (j’ai sacrifié au rite également au temps de Fahrenheit 11/09 que j’avais détesté), mon esprit retors va prendre un malin plaisir à le défendre en toute sincérité.

J’ai un rapport particulier à l’œuvre de Moore dans la mesure où j’avais un peu l’impression qu’elle allait en déclinant de film en film (Bowling for Columbine était moins bien que the big one qui était déjà moins bien que Roger et Moi).

Or il se trouve que je viens de revoir Roger et moi et non seulement c’est (toujours) un très bon film, mais c’est en plus une œuvre qui m’a permis de mieux comprendre la vraie nature de Michael Moore. Dans mon esprit, un cinéaste pamphlétaire dans son genre ne pouvait être qu’anti-américain par vocation (puisque l’anti-impérialisme se traduit souvent par un anti-américanisme primaire). Or c’est évidemment l’inverse : Michael Moore est un pur américain. C’est d’ailleurs ce qui touche le plus dans Roger et moi : cet attachement viscéral pour sa ville (Flint, dans le Michigan), ses habitants et son passé.

Moore n’est pas du tout un dangereux gauchiste mais un démocrate pur jus, presque un personnage à la Capra avec tout ce que cela suppose de « naïveté » (on va y revenir). On retrouve dans Capitalism : a love story ce profond attachement pour les véritables valeurs de la démocratie américaine et l’ « histoire d’amour » évoquée par le titre du film est sans doute celle qui lie Moore à une nation qui a peu à peu fait un trait sur tout ce qui la composait (en gros, depuis que le pays a été vendu aux banques et à la finance par l’immonde Reagan). Il y a un très beau passage où le cinéaste se souvient de ce que furent les Etats-Unis après la guerre et où il revient voir les friches industrielles de la General Motors à Flint avec son père qui travailla toute sa vie pour l’entreprise. Preuve que l’attaque qu’il mène de front contre le capitalisme n’est pas « théorique » mais ancrée dans la vie d’un « américain moyen » qui a vu sous ses yeux ses ravages.

 

Autre trait touchant chez Moore : sa pugnacité. Comme au temps de Roger et moi, il cherche ici à comprendre et à rencontrer les responsables des ravages du capitalisme et fonce tel un Don Quichotte en baskets et casquette à l’assaut du grand Capital (la scène où il isole le bourse d’un ruban jaune de scène de crime m’a beaucoup fait rire).

 

Alors bien sûr, son cinéma offre un large flanc à l’attaque : certaines scènes jouent un peu trop la carte du chantage à l’émotion (il faudrait avoir un cœur de pierre pour ne pas être ému par ces gens en pleurs qui se font expulser d’une maison dont ils sont pourtant propriétaires) et Moore connaît parfaitement les effets  des mécanismes du montage cinématographique. Nous ne sommes pas ici dans une analyse « objective » des effets du capitalisme mais dans le registre du pamphlet rentre-dedans.

Et pourtant, Capitalism : a love story est quand même du cinéma. D’abord parce que le cinéma, c’est le montage et que Moore s’avère capable de confronter des images documentaires de manière assez astucieuse. Lorsqu’il monte en parallèle les images d’une fiction sur la fin de l’Empire romain et celles des ravages du capitalisme, l’effet est très parlant. Il est surtout intéressant lorsqu’on se remet dans le contexte américain où ce contrechamp est littéralement absent.

Alors oui, Michael Moore est parfois lourd, frisant à quelques reprises la pure manipulation : mais qui d’autre que lui propose ce contrechamp sur un système qui s’est autoproclamé vainqueur et le meilleur d’entre tous ? On aimerait qu’il y ait en France des gens qui s’en prennent aux racines du mal et qui ne se contentent pas des éternelles pleurnicheries sociologisantes sur les conditions des femmes, des immigrés ou des chômeurs. Ici, nous ne sommes paradoxalement pas dans l’apitoiement victimaire (même si certains passages sont un peu pleurnichards) mais dans l’attaque frontale et globale. Et il y a chez le cinéaste un sens du tempo dans le montage qui fait de son film un véritable uppercut.

Et on a beau dire que le cinéaste est devenu « médiatique », qu’est-ce que ce Coluche américain représente, en terme d’image, par rapport aux puissances qu’il attaque ? Est-ce bien honnête de lui reprocher de piéger cette misérable ordure que fut Charlton Heston quand on songe au poids du lobby des armes aux Etats-Unis et tout ce que cela suppose ?

De la même manière, nos petits « rebelles » pondérés se sont émus que Moore ose faire dire à trois prêtres et même un évêque que le catholicisme s’opposait au capitalisme. J’y vois pour ma part une nouvelle preuve du profond attachement du cinéaste aux véritables valeurs de l’Amérique (il est probable qu’il soit lui-même croyant) et dans un pays où la religion occupe une telle place, il ne me semble pas inutile de rappeler que la religion capitaliste n’est pas la seule envisageable…

Encore une fois, c’est sans doute naïf comme est naïve la manière dont le cinéaste idéalise certaines choses qu’il voit de son œil d’américain (le mode de vie des canadiens dans Bowling for Columbine, les systèmes « sociaux » européens ici…) mais il faut voir d’où il parle, dans quel univers.

Le cinéma, c’est aussi montrer les choses et qui ose (même en Europe) montrer ce que montre Moore dans son film (personnellement, j’ignorais que les banques pouvaient s’enrichir sur des assurances-vie souscrites sur le dos des victimes, que les pilotes d’avion étaient payés une misère aux Etats-Unis…) ?

Et que ça soit un cinéaste américain qui vienne nous dire les dangers qu’il y a à copier à tout prix le modèle capitaliste actuellement en vigueur, je trouve ça tout simplement salutaire.

Je ne crie pas au chef-d’œuvre de l’année mais dans un genre qui n’existe malheureusement pas assez au cinéma (le libelle, le brûlot, le pamphlet…), Capitalism : a love story se révèle une jolie réussite…

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