British sounds (1969) de Jean-Luc Godard et Jean-Henri Roger

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L'une des séquences les plus mémorables de Week-end est, bien entendu, ce long travelling sur un interminable embouteillage qui permettait alors à Godard de livrer une vision acide et satirique de la France gaulliste de l'avant-68. Deux ans plus tard, il débute British sounds par un autre long et très lent travelling sur la chaîne de montage d'une usine automobile.

Mais entre-temps, quelque chose s'est brisé chez le cinéaste : le désir de « fiction » a laissé place à une volonté (un poil rigide dans ce cas précis) d'inventer un nouveau cinéma « militant ». En réalisant ce film commandé par la BBC (mais qui refusera de le diffuser entièrement !), Godard et son comparse Jean-Henri Roger, un peu avant l'aventure de Dziga Vertov, cherchent à faire de l'agit-prop, à l'image de ces poings dressés à la fin du film qui déchirent le drapeau britannique.

Si une certaine agit-prop au cinéma peut être sympathiquement rigolboche (songeons à l'indispensable La dialectique peut-elle casser des briques ? de René Viénet), force est de constater qu'elle peut être aussi barbante qu'un arrêté préfectoral de la Creuse. Et lorsqu'on entend, « off », une voix d'adulte qui fait répéter à une voix d'enfant les récits de hauts faits révolutionnaire anglais, on craint que Godard soit définitivement passé du côté de l'ennemi, à savoir le catéchisme marxiste-léniniste orthodoxe.

 

Mais ce qui intéresse néanmoins dans British sounds, c'est la démarche « dialectique » de Godard en ce sens que le discours (terriblement daté et naïf) lui importe dans la seule mesure où il est accolé à des images. Pour Godard, l'image « dominante » (celle imposée par l'industrie et la bourgeoisie) est mensongère et il faut donc la briser pour lui faire dégorger sa « vérité ». Pour cela, le cinéaste procède à sa manière habituelle : soit par la dissociation de l'image et du son (procédé parfois un peu fastidieux lorsque le spectateur est assommé par une logorrhée féministe et révolutionnaire tandis qu'à l'écran se balade une jeune fille à poil : disons le tout net, l'appel de la chair fraîche l'emporte rapidement sur le flot de paroles vertueuses et l'objectif « brechtien » est plutôt manqué) ; soit des jeux de montage qui s'avèrent, pour le coup, plus intéressants.

L'une des meilleurs séquences de British sounds est sans doute ce moment où un speaker télévisuel d'une ignominie caricaturale édicte sentencieusement un prêchi-prêcha libéral sécuritaire qui vire à l'aigre lorsqu'il confesse sa haine du « gauchiste » et de l'étranger tandis que Godard et Roger mettent en parallèle des images « documentaires » du quotidien de la classe ouvrière (au travail, la plupart du temps). Ces images qui ne disent rien en elles-mêmes acquièrent une véritable force lorsqu'on écoute le discours méprisant et formaté qui ne correspond en rien à ce qui est montré. Et sans s'appesantir, les cinéastes parviennent à nous montrer un certaine vérité des classes les plus modestes en Angleterre à l'époque.

 

Godard et Roger nous montreront également un groupe d'étudiants confectionnant des posters gauchistes ou des ouvriers politisés qui évoquent la dureté de leur travail à la chaîne.

 

British sounds, sous ses apparences assez ingrates, se veut un petit gravier dans la grande «chaîne » aliénante du capitalisme. Si Godard, par son art consommé du rapprochement entre deux images, parvient toujours à créer quelques électrochocs salutaires (notamment grâce aux cartons proverbiaux du cinéaste, désormais entièrement dédiés aux slogans), on a quand même un peu de mal à considérer que ce type d’œuvres soit désormais l'unique solution pour faire « politiquement du cinéma politique ».

 

Le geste radical de JLG séduit quand même intellectuellement (même si on n'adhère pas à sa doxa communiste) mais esthétiquement, il reste très en deçà de ce que le cinéaste a fait auparavant ou de ce qu'il fera après (ne serait-ce que dans Ici et ailleurs)...

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