Boxing gym (2010) de Frederick Wiseman

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Cela fait plus de 40 ans que le grand documentariste Frederick Wiseman scrute les différentes facettes de la société américaine. Pour se faire, il privilégie généralement les espaces clos, microcosmes révélateurs des contradictions et dysfonctionnements d’une société dans son ensemble. On se souvient qu’il a filmé des asiles (Titicut follies), des hôpitaux (le très impressionnant Near death), des lycées, des grands magasins (The store) ou même un zoo (Zoo).

Hier soir, il était là en personne pour présenter Boxing gym et c’était vraiment très émouvant et passionnant d’écouter ce grand monsieur de 80 ans évoquer ses méthodes de travail et son approche du documentaire (dans un français presque parfait et avec un sens de l’humour assez irrésistible).

Boxing gym, qui plonge le spectateur dans le quotidien d’une salle de boxe à Austin Texas, est un film très représentatif de la méthode Wiseman. Le cinéaste a d’abord procédé à un véritable travail d’immersion en filmant près de 90 heures de rushes pendant six semaines. Avec une équipe réduite au strict minimum (un opérateur et un assistant, Wiseman assurant lui-même la prise de son), il parvient à se faire complètement oublier et à saisir sur le vif de beaux moments de vérité.

Mais le plus gros du travail se fait bien évidemment au montage puisque le film ne dure, au final, qu’une heure et demie (ce qui est court pour un Wiseman, si l’on se souvient des 6 heures de Near death, par exemple). Il s’agit pour le cinéaste de trouver une véritable forme cinématographique à partir d’un matériau brut immense. Comme il l’a dit très justement, il a une approche de sculpteur taillant dans une matière brute pour former une œuvre sans trahir le matériau d’origine. Et c’est d’ailleurs ce qui séduit dans le cinéma de Wiseman en général et dans Boxing gym : une exigence morale vis-à-vis de la réalité et l’honnêteté du regard. Jamais il n’a recours à une voix-off, à des cartons explicatifs ou même à des jeux d’oppositions trop marquées par le montage. Rien de manichéen ou de manipulateur dans ce cinéma qui, pourtant, ne respecte pas forcément la chronologie des faits et qui procède d’une construction, d’une mise en scène.

Avec Boxing gym, Wiseman parvient à filmer une drôle d’utopie. Effectivement, dans ce hangar transformé en salle de sport, tout le monde se côtoie et se mélange dans un drôle de melting-pot. Les millionnaires croisent des immigrés sans-papiers cubains ou mexicains, les retraités s’entraînent avec des enfants et les femmes n’hésitent pas non plus à venir s’affronter sur le ring (certaines mamans viennent avec leur couffin !). Et tous vivent en bonne entente, comme si la boxe permettait paradoxalement d’atténuer les différences (de classes, de races, de sexes…) et d’étouffer la violence qui refait surface à travers les conversations (le jeune homme qui explique qu’il s’est engagé pour partir au front, les fusillades dans les universités américaines qui font l’objet de discussions…). Il ne s’agit pas pour Wiseman de tenir le discours angélique, niaiseux et démagogique de l’intégration par le sport mais juste de se pencher sur un petit échantillon d’humanité et de laver le regard du spectateur de tous les clichés qu’il peut avoir en tête.

Même si on se fiche éperdument de la boxe (c’est mon cas, avouons-le franchement), le film séduit par la vérité humaine qui s’en dégage. Wiseman parvient même à captiver le spectateur en trouvant des jeux de rimes qui rendent son montage assez inventif (cette manière de raccorder sur des jeux de jambes ou sur le mouvement d’un ballon). Je regrette de n’avoir pas vu La danse mais je pense que c’est le même principe : filmer l’effort, la beauté du geste (le cinéaste ne filme pas les combats mais seulement les entraînements : parti pris original et louable) et redonner à l’écran une sorte de mouvement chorégraphique à l’ensemble.

Sur les corps et le mouvement, Boxing gym est réussi et assez beau. Je dois néanmoins formuler une petite réserve. Un spectateur dans la salle trouvait que le cinéaste parvenait à jouer avec le temps grâce à la durée de ses « plans-séquences ». Or il se trouve que, pour ma part, je trouve le film presque trop découpé et ne laissant pas assez de temps au spectateur de s’attacher vraiment aux personnes filmées.

Autant le rythme du montage s’accorde assez bien avec les gestes du sport, autant il est difficile de voir émerger de véritables figures et de comprendre les motivations des individus et ce qu’ils sont (j’avoue que si Wiseman ne l’avait pas dit, je n’aurais pas remarqué la présence d’un millionnaire dans cette salle). Il manque peut-être un peu de cette épaisseur humaine qui faisait le prix des grands documentaires du cinéaste.

Cela n’empêche pas Boxing gym d’être un film très intéressant, prouvant une fois de plus la valeur inestimable de l’œuvre d’un des plus grands documentaristes du monde…  

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