Le sommeil d'or (2012) de Davy Chou (Editions Bodega Films) Sortie le 03 avril 2013

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En abordant la question du génocide cambodgien, Davy Chou n'a qu'un « tort » : celui de passer après S21, la machine de mort Khmère rouge, le chef-d’œuvre de Rithy Panh.

La bonne idée du jeune cinéaste est de ne pas chercher à suivre les pas de son brillant aîné mais de traiter le même sujet par le biais d'un angle d'attaque beaucoup plus singulier : celui du cinéma cambodgien. Sujet en apparence plus futile mais qui permet à Chou d'évoquer en creux une des pages les plus sinistres de l'Histoire du 20ème siècle.

 

Le cinéma naît au Cambodge au début des années 60 et connaît une période prospère (près de 400 films produit) jusqu'à la fin de la guerre civile et l'arrivée au pouvoir des Khmers rouges. Jugé immoral et « contre-révolutionnaire », ce patrimoine cinématographique est englouti et il ne reste aujourd'hui presque rien de ce continent disparu : quelques films en état lamentable, des chansons de l'époque, des photogrammes et quelques rescapés, acteurs de cette grande aventure.

 

Davy Chou part à la rencontre de ces témoins privilégiés : la star Dy Saveth, trois cinéastes au parcours différents, des cinéphiles qui se remémorent avec passion les films qu'ils ont vus durant leur jeunesse... Le grand intérêt du Sommeil d'or est cette manière qu'a le cinéaste d'interroger une mémoire « sans images » puisqu'elles ont presque totalement disparu. Pour se faire, il emprunte deux voies sans pour autant se perdre en chemin.

La première est classique et renvoie d'ailleurs aux méthodes des grands aînés (Rithy Panh, Lanzmann...) : il s'agit de recueillir la parole des survivants. Cadrés en plans larges, les témoins évoquent leurs parcours (le cinéaste Yvon Hem a perdu toute sa famille pendant la dictature Khmère rouge tandis que Ly You Sreang s'est exilé en France et semble presque s'excuser de parler d'un passé dont il ne reste plus aucune trace) et racontent, à travers leurs destins individuels, une Histoire tragique et douloureuse de leur pays.

Parallèlement, le cinéaste filme le Cambodge d'aujourd'hui : les anciens cinémas qui sont devenus des salles de jeux, des karaokés ou des foyers insalubres. Ces lieux, il les filme le temps de beaux travellings très travaillés (la lueur du soleil s'infiltrant à travers une ouverture dans un mur renvoyant soudainement à la lumière d'un projecteur de cinéma) et capte ainsi l’inexorable fuite du temps et de la mémoire (« tu n'as rien vu à Phnom Penh »). Il y a aussi les visages de cette jeunesse actuelle qui permettent à Chou d'éviter de sombrer dans la nostalgie et de réfléchir à la manière dont le fardeau de cette Histoire peut peser sur les adolescents cambodgiens en 2012. Ce désir de transmission, de faire revivre un patrimoine oublié en l'inscrivant dans des préoccupations contemporaines se lit clairement lors d'une jolie séquence où de jeunes apprentis cinéastes réalisent un « remake » d'un film d'époque, L'étang sacré, d'après les indications du réalisateur.

 

La grande réussite du Sommeil d'or est ce double mouvement qui permet à Davy Chou de montrer comment la dictature Khmère, en s'attaquant au cinéma, est parvenue à détruire totalement une mémoire collective et comment le cinéma, aujourd'hui, peut permettre de renouer avec ce passé, de reconstruire un imaginaire commun sur des décombres. Il y a quelque chose de très émouvant à écouter ces deux cinéphiles (qui ne se connaissaient pas avant le film) se remémorer l'âge d'or du cinéma cambodgien. Car se dessinent en filigrane les traces d'une jeunesse spoliée pour toute une génération.

Ce qui fait le lien entre le passé et le présent, c'est la musique et ces chansons d'époque devenues des « tubes » aujourd'hui, sans que l'on sache réellement d'où elles viennent. Davy Chou parvient de façon intelligente à montrer comment cette histoire perdure à travers ces mélodies, ces réminiscences. Si cette mémoire est devenue diffuse, elle est néanmoins prégnante. Pour conserver cette dimension « impressionniste », le cinéaste évite de montrer les extraits des (rares) films rescapés, préférant les contours de ce « trou noir » pour développer son propos autour de cette mémoire sans images.

 

Du coup, en abordant un sujet plutôt frivole (évoquer un génocide en parlant du cinéma), il parvient à une belle réflexion autour du souvenir et du témoignage (comme les grands documentaires « historiques », il prend acte de cette incapacité qu'a eu le cinéma à produire des images des grandes catastrophes du 20ème siècle) tout en rendant un hommage déchirant au 7ème art, divertissement futile mais également mémoire collective dont a été privée tout un peuple...

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