Tatarak (2009) d’Andrzej Wajda avec Krystyna Janda

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Malgré toute la curiosité dont on espère pouvoir se targuer, il reste malheureusement toujours des territoires du cinéma qui resteront mal connus pour le cinéphile. J’avoue pour ma part que je connais extrêmement mal l’œuvre d’Andrzej Wajda qui est pourtant loin d’être un inconnu.

En consultant mes archives, j’ai réalisé avoir vu des films dont je n’ai plus le moindre souvenir (Cendres et diamants, Chronique des évènements amoureux) et en avoir manqué d’autres que j’étais persuadé d’avoir vus (Danton, que j’ai dû apercevoir par bribes ou avant le moment où j’ai commencé à recenser tous les films que je voyais, soit vers l’âge de 15 ans !)

C’est donc quasiment vierge que je suis allé découvrir son dernier opus Tatarak, que le cinéaste est venu présenter en personne.

Quoiqu’on puisse penser du film et de l’œuvre du cinéaste, il faut bien avouer que cette rencontre avait quelque chose de magique, tant l’homme représente à la fois un grand courant de la cinématographie mondiale (ces cinéastes « dissidents » des pays de l’Est) et un moment très particulier de l’Histoire du monde (la guerre froide, la stalinisation des pays de l’Est, Solidarnosc…). Il y avait donc quelque chose de très émouvant à l’entendre raconter la manière dont il dut s’y prendre pour ruser avec la censure ou le soutien dont il bénéficia au moment de la sortie de L’homme de fer.

Tatarak est une adaptation d’un court récit du grand écrivain polonais Jarosław Iwaszkiewicz dont Wajda adapta déjà plusieurs livres (Le bois de bouleaux, Les demoiselles de Wilko). L’histoire tient en deux lignes : une femme d’âge mûr, Martha (incarnée par Krystyna Janda), alors qu’elle est condamnée par une maladie incurable, réapprend à vivre aux côtés d’un jeune homme (Bogus) qui lui rappelle ses fils disparus lors de l’insurrection de Varsovie.

Il y a quelque chose de très beau et de solaire dans ce segment du film. Pour ma part, j’y ai vu un film de « vieux » cinéaste au bon sens du terme. Wajda, comme Kurosawa lorsqu’il réalise Madadayo ou Imamura lorsqu’il signe De l’eau tiède sous un pont rouge, n’a absolument plus rien à prouver et il filme en toute liberté cette histoire d’amour douce-amère naissant entre cette belle femme vieillissante et un tout jeune homme.

Il y a quelque chose d’impressionniste et de panthéiste dans cet hymne à l’instant présent et à la beauté des choses qui nous entourent (une rivière, des arbres, des herbes hautes…). Mais cette beauté se double d’une conscience aigue du temps qui passe qui leste le film d’un poids de mélancolie très touchant. Outre la maladie de Martha qui est à peine suggérée (on imagine ce qu’un cinéaste pataud aurait pu faire d’un tel sujet mélodramatique !), Tatarak est un film qui parvient à saisir la fugacité des choses et la cruauté de ce temps qui ne fait de cadeau à personne. Rarement on aura montré de si belle manière, par des jeux de regards et une sorte de « division interne » du cadre l’éclatante beauté d’une jeunesse insouciante contrastant avec le spectre de la « mort au travail » d’une femme dont les beaux jours sont derrières elle (et c’est pourtant peu dire que Martha est une femme magnifique !).

J’ai parfois songé à un très beau film malheureusement assez peu vu qui est Le mirage de Jean-Claude Guiguet : dans Tatarak aussi, le poids de la douleur et de la mort est compensé par une envie de jouir de l’instant présent, de profiter à fond de la beauté du monde qui nous entoure, malgré toutes ses horreurs aussi.

 

Si le film n’avait été que ce court récit impressionniste et mélancolique, Wajda aurait signé une sorte de petit chef-d’œuvre. Malheureusement, comme il l’expliquait lui-même en guise de présentation, cette adaptation du livre d’Iwaszkiewicz ne donnait matière qu’à un film de 50 minutes. Alors il a cherché à « allonger la sauce ». D’une part, en filmant les coulisses du tournage et en réalisant ainsi une sorte de « film dans le film » (comme au temps de Tout est à vendre). D’autre part, en intégrant un récit écrit par Krystyna Janda racontant les derniers jours de son mari atteint d’un cancer. On sent que ce récit est aussi poignant pour la comédienne que pour Wajda puisque ce mari était Edouard Klosinski, chef opérateur du cinéaste notamment pour L’homme de marbre et L’homme de fer.

En plans fixes, Wajda se contente de filmer sa comédienne raconter cette histoire tragique. Il est d’ailleurs notable que le cinéaste parvient avec un décor presque nu à faire du grand cinéma rien qu’à sa manière de placer sa comédienne dans une certaine lumière, de la faire se déplacer dans le champ.

Même si ces parties annexes sont très intéressantes et que Janda s’avère être une comédienne exceptionnelle (ce qui n’a rien de nouveau), il me semble que la « greffe » ne prend pas réellement avec la partie fictionnelle. Disons qu’il y a quelque chose d’un peu volontariste qui m’a gêné, comme si Wajda voulait souligner des éléments pourtant très clairs mais filmés avec une légèreté qui suffisait amplement. Alors oui, la douleur de l’actrice résonne dans son interprétation de Martha et, ça n’a rien de nouveau, on peut constater qu’un comédien se nourrit toujours de son expérience personnelle pour construire un rôle, même lorsque ça brûle.

Le passage qui m’a le plus fait tiquer est sans doute le moment où l’actrice quitte soudainement son rôle, s’enfuit du plateau et se fait prendre en stop en maillot de bain sous la pluie. Parce qu’à ce moment, ce qui pouvait sembler « documentaire » (les « coulisses » du nouveau film de Wajda) apparaît clairement comme aussi prémédité que le reste (si cette fuite avait été réelle, la caméra n’aurait pas pu suivre l’actrice jusque dans la voiture de l’auto-stoppeur !). Là encore, ce qui entoure la partie « fictive » semble redondant et un peu trop explicatif.

C’est un peu dommage mais j’espère que ça ne vous dissuadera pas d’aller découvrir ce film intéressant, qui comporte par ailleurs de véritables instants magiques…

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