5 courts-métrages (1973-1998) de Joseph Morder avec Joseph Morder, Françoise Michaud, Hélène Lapiower, Marie Vialle

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Il y a une dizaine de jours, Joseph Morder est venu à Dijon pour présenter dans le cadre d’une soirée consacrée au « journal intime filmé » son très beau Mémoire d’un juif tropical, précédé du Journal de Joseph M de Gérard Courant. Entre les deux projections, le cinéaste a évoqué son parcours totalement atypique au cœur du cinéma français (il a réalisé des centaines de films de toute durée, principalement en Super 8 et il tourne depuis 1967 son « journal intime » dont seulement une dizaine d’heures a été montée) et a joliment expliqué sa « boulimie d’images » par le fait qu’une bonne partie de sa famille a été décimée dans les camps de concentration et que sa vie a débuté par une absence totale d’images.

D’origine juive polonaise, le cinéaste va passer son enfance en Equateur et cette période de sa vie ne va dès lors plus cesser de hanter son œuvre, que ce soit sous la forme de ces « vrais faux » journaux intimes (Mémoires d’un juif tropical) ou à travers de véritables fictions (L’arbre mort ou El Cantor, son seul film en 35 mm à ce jour).

On retrouve ces questions des origines, de l’enfance et des liens familiaux dans ces 5 courts-métrages que l’auteur a bien voulu m’offrir (qu’il en soit ici chaleureusement remercié).

Dans Avrum et Cipojra (1973), il filme en Super 8 le quotidien de ses grands-parents, rescapés des camps de concentration. Ce sujet grave, dont on imagine bien ce qu’un quelconque tâcheron aurait pu faire, Morder le traite avec une rare délicatesse, naviguant sans cesse entre humour pudique et tendresse. La forme de ce court-métrage muet est celle d’un « journal » filmé un peu à la manière de Jonas Mekas, Morder se contentant de suivre le couple dans son quotidien (au lit, dans sa cuisine, déambulant dans les rues de Belleville…) et de restituer ce quotidien sous une forme impressionniste. La gravité affleure in extremis lorsque la caméra s’approche des bras de cette femme et de cet homme et nous révèle le tatouage des camps de concentration. Le cinéaste ne s’appesantit pas et il ne lui en faut pas plus pour nous faire ressentir l’horreur et la barbarie que le couple a subies. Jamais cette chronique familiale et intimiste ne sombre dans le chantage à l’émotion et c’est sans doute pour cette raison que nous sommes encore plus touchés.

 

My mother was a star (1979) est également un film hanté par l’enfance et l’image de la mère. En même temps, c’est peut-être le film le plus mystérieux du lot et celui qui donne le plus à réfléchir. Pendant une vingtaine de minutes, Morder ne va filmer que des « natures mortes » dans un appartement qu’on suppose être celui de sa mère. Rien d’autre que ces plans « vides » et extrêmement bien composés, si ce n’est le son un peu étouffé d’un dialogue que je ne suis pas parvenu à identifier (télé ? radio ?). Ce qu’on croit d’abord être de simples plans d’exposition deviennent la véritable matière d’un film qui fait ressentir avec une certaine puissance le vide et l’absence (très beau plan d’une photo de femme dans un cadre qu’on devine être celui de sa mère). S’agit-il de retrouver les parfums de l’enfance à travers la découverte émerveillée des moindres détails d’un lieu ou de faire revenir, par la grâce du cinéma, des fantômes en explorant les traces d’un appartement encore « habité » (comme dans une des plus belles scènes d’El Cantor) ? Qu’on ne le sache pas exactement n’a pratiquement pas d’importance puisque l’essentiel est que le cinéaste soit parvenu, à travers une « matière » qu’on suppose très intime, à faire sourdre une émotion tenace et lancinante à valeur universelle.

 

Si Les sorties de Charlerine Dupas peut apparaître comme un amusant exercice de style d’un peu plus de deux minutes, il illustre parfaitement, sur un mode ludique, les obsessions de Joseph Morder. Il s’agit, au départ, d’un pur exercice de « journal » où le cinéaste suit une jeune femme qui sort de chez elle et part se promener le long de la Seine. Le style est, plus que jamais, proche des « diaristes » américains (Jonas Mekas) avec cette utilisation systématique du « jump cut » et d’un montage ultrarapide. Sauf que cette Charlerine sort pour tuer et accomplir l’acte surréaliste par excellence selon André Breton, consistant « revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu'on peut, dans la foule. » Il y a donc chez Morder, au cœur même du plus trivial des quotidiens, un véritable désir de fiction que l’on retrouvera dans ses longs-métrages (L’arbre mort est sans doute le seul véritable mélodrame hollywoodien tourné en Super 8 !)

Ce désir de fiction, on le retrouve dans ces deux très beaux titres que sont Carlota (1992) et La plage (1998). Dans les deux cas, il s’agit de films écrits et joués mais, comme le cinéaste aime jouer systématiquement avec le vrai et le faux, le réel et la fiction, on sent qu’ils sont constamment traversés par des questions intimes, des obsessions personnelles.

Carlota, par exemple, est une belle romance entre un homme approchant la quarantaine (joué par Morder lui-même) et son amour d’enfance qui revient un beau jour d’Amérique (Charlotte, jouée par la magnifique muse du cinéaste Françoise Michaud). Morder raconte que ce film est un véritable hommage à son amour d’enfance qu’il connut en Equateur. Mais ces souvenirs intimes, il se les réapproprie pour les réinventer dans une fiction mélodramatique ténue et touchante. Encore une fois, on constate chez le cinéaste cette incroyable croyance dans un cinéma permettant de faire revivre les morts et de substituer au Réel un monde qui s’accorde à nos désirs (pour paraphraser une phrase célèbre de Michel Mourlet).

Dans La plage, il est encore question d’histoire de famille, de transmission et d’une « terre » commune où peuvent se confier les secrets. Il s’agit sans doute du plus mélodramatique des courts-métrages du lot. On sait l’admiration (légitime) que Morder voue à Sirk et comme dans Le secret magnifique, il n’hésite pas ici à en rajouter dans les révélations abruptes et presque incroyables. Mais qu’importe la « crédibilité » du scénario si les émotions sont vraies. Par son sens du cadre et du découpage (le film est très joliment mis en scène et je n’ai peut-être pas assez insisté sur le véritable « plaisir de cinéma » qu’on ressent constamment chez Morder), le cinéaste parvient à nous émouvoir sur un canevas assez classique.

Il ne reste plus qu’à souhaiter que ces 5 courts-métrages soient rapidement disponibles en DVD…

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NB : Pour ceux que ça intéressent, vous trouverez d’autres textes sur Morder en épluchant mon index mais également ici et .

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