Noeud de vipères
Tetro (2009) de Francis Ford Coppola avec Vincent Gallo, Alden Ehrenreich, Maribel Verdù, Carmen Maura, Klaus Maria Braundauer
Ca fait déjà un certain temps que je ne suis plus qu’en pointillé la carrière de Francis Ford Coppola. Pour tout vous dire, j’ai même du mal à me souvenir du dernier film qui m’ait vraiment emballé du cinéaste (sans doute Dracula, ce qui commence à remonter !). De ses derniers films, je garde seulement quelques souvenirs de diffusions télévisées (le consternant Jack, le pas désagréable quoique anodin l’idéaliste).
C’est donc avec une certaine curiosité que j’allais voir Tetro, film semblant marquer les retrouvailles de l’auteur d’Apocalypse now avec la critique. Et c’est peu dire que le résultat m’a déçu !
On se fait d’abord accueillir par un noir et blanc en Scope qui m’a tout de suite fait penser à un autre film « monumental » de l’année passée : Le ruban blanc. Il s’agit effectivement du même type de photographie lisse et esthétisante, relevant davantage du papier glacé publicitaire que des tentatives d’un Garrel ou d’un Kaurismäki de renouer avec un certain cinéma « primitif ».
Tout se passe comme si Coppola tentait par ce parti pris esthétique d’ornementer un scénario somme toute assez convenu d’une petite touche arty alors que tout son film relève du cinéma psychologique le plus conventionnel et, pour être tout à fait franc, le plus lourd.
Je me souviens qu’à propos de Pollack, Serge Daney parlait de « cinéma filmé ». Il y a un peu de ça dans Tetro, l’idée que Coppola ne fait plus que mettre en scène sa propre conscience « d’auteur ». Pour le dire un peu moins mal, qu’il ne cherche désormais plus qu’à souligner des effets qui devront immédiatement faire tilt dans l’esprit du spectateur : « mais bon sang, bien sûr ! La famille, les racines, l’opéra : c’est du Coppola ! ».
Des premiers mots inscrits sur un mur ou une banderole lors du premier plan à l’utilisation emphatique du son (cette insupportable manie qu’ont les cinéastes de faire sursauter une salle entière juste quand un personnage ferme une porte : merci le Dolby stéréo !) en passant par les regards lourds des personnages ; tout est surligné en gras dans Tetro et la grande « surprise » finale ne change finalement pas grand-chose à l’affaire : le film n’a fait qu’alors dérouler un programme écrit de A à Z sans que rien n’advienne réellement en dehors des « rebondissements » prévisibles du scénario (le rejet du petit frère par le grand, leur apprivoisement mutuel, brisé soudainement comme il se doit avant une réconciliation dont nous ne révèlerons rien…). Tetro, c’est en quelque sorte l’anti-Two lovers, à savoir l’artillerie lourde qui se déguise en film d’auteur indépendant alors que James Gray parvenait à donner un supplément d’âme à un scénario assez convenu et modeste de « comédie romantique ».
Alors bien sûr, tout n’est pas nul dans Tetro. Coppola a un savoir-faire indéniable et sait soigner son cadre et diriger ses acteurs (Vincent Gallo est assez convaincant mais c’est surtout Maribel Verdù, dans un rôle un peu sacrifié, qui parvient à tirer son épingle du jeu et à apporter parfois un petit frisson d’émotion qui manque cruellement au film).
Mais encore une fois, je crois qu’on a tort de parler de « film indépendant » à propos de Tetro qui par certains aspects, est beaucoup plus voyant et lourd que la trilogie du Parrain ou Apocalypse now. C’est un cinéma parfaitement conscient de ses effets (à ce titre, voir la nullité absolue des scènes de nu alors que celles du dernier Jarmusch m’ont semblé très belles) et qui croule sous le poids du « signifiant » à chaque plan (ah, la citation de Michael Powell et ses Contes d’Hoffmann ! Ah, les souvenirs du Parrain 3 avec ce final « opératique » qui, par comparaison, me fait réviser à la hausse Vincere…)
Le résultat est tellement calculé, verrouillé, que le film finit par ne dégager aucune, aucune émotion. Il donne juste l’impression d’avoir vu un ogre régner sans partage sur son propre territoire où rien n’adviendra en dehors des balises immédiatement identifiables et des thèmes surlignés au marqueur afin que le spectateur n’oublie jamais qu’il est devant l’œuvre d’un « auteur »…