Orlof au festival du film policier
Le cinéma en Côte d’Or est depuis quelques années l’enjeu de luttes intestines qui n’ont, malheureusement, pas grand-chose à voir avec une éventuelle volonté de développer la cinéphilie dans notre belle région.
Pendant près de 15 ans se sont déroulées à Beaune les Rencontres cinématographiques de l’ARP, rendez-vous annuel des « professionnels de la profession », offrant la possibilité de voir quelques avant-premières et d’assister à des débats mais rien de plus. On y parle plutôt gros sous et avenir économique du cinéma français ! Or il se trouve que depuis quatre ans, c’est la municipalité (socialiste – hum !- puisque notre maire François Rebsamen se prétend de gauche – rires !-) de Dijon qui organise ces cafardeuses rencontres.
Du coup, la ville de Beaune tente de renchérir sur le terrain du cinéma : Claude Lelouch, grand copain du député maire UMP Alain Suguenot annonce qu’il va ouvrir une école de cinéma (on l’attend toujours !) et elle est parvenue à récupérer le festival du film policier qu’organisait jadis la ville de Cognac (les amateurs de polars sont-ils nécessairement attirés par les villes fameuses pour leurs alcools ?).
Le cinéphile lambda, qui apprécie par définition le genre, pourrait se réjouir d’un tel évènement sauf que tout ici se résume à des effets de vitrine. Entièrement tournée vers les paillettes et le « casting », la première édition a laissé totalement de côté la population beaunoise et fut un relatif échec qui s’est traduit cette année par une manifestation raccourcie d’une journée.
Lorsqu’on arrive devant le multiplexe où se déroule le festival et qu’on constate qu’il y a plus de vigiles que de spectateurs (mais il y a des tapis rouges ! Qui osera prétendre qu’on se moque du monde ?), on se dit que la leçon de l’an passé n’a pas été totalement assimilée (rien à voir avec l’extraordinaire engouement populaire que peut susciter un festival comme celui de Clermont-Ferrand auquel j’ai eu la chance d’assister plusieurs fois).
La programmation n’a rien de folichon : une compétition étique (8 films), des projections disséminées, quelques stars poussiéreuses qu’on exhibe pour la vitrine (Lelouch, toujours lui !, Patrick Bruel, grand habitué de la vente des vins, venu présenter le dernier Arcady, ce qui, je n’en doute pas, commence à vous faire rêver !…), une rétrospective sur New York qui aurait pu être passionnante si elle n’avait été élaborée en dépit du bon sens (indépendamment de leurs « qualités », je ne vois vraiment pas l’intérêt de programmer Au revoir, à jamais, Dérapages incontrôlés ou la nouvelle version de Shaft !). Seule manifestation digne de ce nom : une leçon de cinéma de James Gray animée par Michel Ciment.
Vendredi (jour J+1)
Je commence le festival en allant voir la seule curiosité projetée le temps de ce week-end prolongé : La cité sans voiles (1949) de Jules Dassin. Programmé dans la rétrospective New York, le film frappe d’emblée par son côté « documentaire ». Une voix-off (omniprésente, parfois un peu trop mais c’est celle du producteur !) nous annonce que le film a été tourné en extérieurs, au milieu de la population new-yorkaise. Dassin commence donc son récit par une sorte de vue en coupe de la ville qui, peu à peu, se ressert sur une enquête menée à propos de l’assassinat d’une jeune et jolie femme. La façon dont le cinéaste nous mène peu à peu au cœur de la fiction est très habile. L’enquête policière, fort classique, est rondement menée et l’ancrage « documentaire » de ces investigations annoncent les séries policières actuelles.
Le film souffre d’un casting inégal : si Barry Fitzgerald est assez savoureux en vieux détective goguenard, certains de ses partenaires se révèlent plutôt médiocres. Reste que ces défauts d’interprétation sont compensés par une mise en scène nerveuse et inventive. Dassin, cinéaste que je connais malheureusement assez peu, nous offre quelques beaux morceaux de bravoure dont un final particulièrement réussi où il utilise à merveille les décors naturels de la ville (le pont de Brooklyn) et nous gratifie d’une course-poursuite d’anthologie. Très belle découverte !
Je poursuis ma journée en restant dans la même (petite) salle et en allant voir le deuxième film de la rétrospective New York : Le baiser du tueur (1955) de Kubrick. Le film fut suivi d’un débat avec un professeur de l’université de Valenciennes venu présenter (intelligemment) ce deuxième long-métrage de Kubrick (le premier, Fear and desire, ayant été retiré de la circulation à la demande le l’auteur). Un des travers des spécialistes d’un auteur, c’est de juger leurs films à l’aune de l’œuvre entière et de tirer vers le haut des pièces pourtant réputées mineures. Yann Roblou a évité cet écueil en mettant aussi en évidence les défauts de ce film de jeunesse de Kubrick (la banalité de l’intrigue, la « love story » peu convaincante, le côté « étiré » du récit alors qu’il dure à peine un peu plus d’une heure…). Ces réserves posées, il est intéressant de voir comment un cinéaste débutant parvient à contourner les contraintes financières du projet (le film a été tourné pour des clopinettes) et à affirmer un début de style. Kubrick flirte parfois, d’ailleurs, avec l’exercice de style (les angles insolites auxquels il a recours parfois) mais parvient aussi à donner à son récit une couleur expressionniste (nombreux gros plans, des éclairages pauvres mais très contrastés…) assez passionnante. De la même manière, Le baiser du tueur est solidement maintenu par deux séquences très réussies qui lui donnent sa colonne vertébrale : le combat de boxe au début (Scorsese s’en souviendra lorsqu’il tournera Raging bull) et l’hallucinant combat dans un entrepôt de mannequins à la fin où éclate une sauvagerie qui annonce les grandes œuvres du cinéaste (de Orange mécanique à Full metal jacket en passant par Shining).
Le baiser du tueur est loin d’être un chef-d’œuvre mais ça reste un essai fort intéressant et très prometteur…
Samedi (J+2) : Grève SNCF : me voilà privé de films et de James Gray !
Dimanche (J+3) :
Retour à la normale à la SNCF sauf dans le sud-est de la France. J’ai donc la joie d’apprendre que je vis dans le sud de la France puisque le train que je devais prendre est supprimé ! J’avais la possibilité aujourd’hui de voir un film mais ça voulait dire attendre près de deux heures avant la séance à Beaune et plus d’une heure et demie après avant de pouvoir rentrer chez moi. Je n’aime pas assez Michael Winterbottom (dont le dernier film était en compétition) pour un tel sacrifice. Voilà donc deux « Pass » gâchés et un festival loupé pour votre serviteur !