Paris vécu
Paris c'est foutu ! (2013) d'Alain Paucard (Editions Jean-Cyrille Godefroy)
Entre Paris et Alain Paucard, c'est une longue histoire d'amour. Après avoir célébré ses prostituées (Guide Paucard des filles de Paris), il a consacré à la capitale plusieurs recueils d'anecdotes (Le Roman de Paris, Paris est un roman) et exalté Paris, ses rues, ses chansons, ses poèmes. Il a également pesté contre ceux qui entreprennent de détruire cette ville qu'il a tant aimée : les architectes, les bétonneurs en tout genre (Les criminels du béton), les édiles sans égard pour l'intégrité des quartiers, les artistes contemporains...
Dans Paris c'est foutu !, l'auteur nous propose une nouvelle petite promenade à travers les rues de la capitale, sur les traces de Léon-Paul Fargue. Chaque arrondissement offre à Paucard l'occasion d'évoquer un souvenir, de conter une anecdote, de faire revivre une silhouette familière (artistes, écrivains...) ou de cultiver sa verve pamphlétaire en vouant aux gémonies tout ce qui défigure Paris, que ce soit les « profanations architecturales » (le Centre Pompidou, la Tour Montparnasse, les travaux de Mitterrand...) ou les manifestations les plus puériles de « l'homo festivus » (Paris-Plage).
A ce titre, l'une de ses cibles favorites est « Sa Suffisance » Bertrand Delanoë, héraut d'une certaine « Modernité » préférant les tours aux traditions et le décor d'une « ville musée » à ce qui fut « l'âme de Paris ».
Comme le titre de l'ouvrage l'indique, Paucard est d'humeur sombre et sa balade ressemble à un dernier inventaire avant fermeture. Mais, par bonheur, le pessimisme foncier de l'écrivain va de pair avec une indéniable faconde et un sens de la formule drolatique réjouissant.
Quand il ne ronchonne pas contre la municipalité actuelle (les précédentes ne sont pas pour autant épargnées !) et contre tous les fâcheux qui lui rendent la vie insupportable, Alain Paucard se laisse aller à de succulentes digressions nostalgiques où il évoque son enfance, sa jeunesse, les cinémas et lieux qu'il a fréquentés. S'il a la dent dure contre certains, il est d'une fidélité exemplaire en amitié et c'est avec une certaine émotion qu'il rend hommage, une fois de plus, à Pierre Gripari ou à Jean Dutourd. De la même manière, plutôt que d'exalter le patrimoine parisien le plus célèbre, il préfère s'aventurer dans des rues moins fréquentées et retrouver les fantômes de Léautaud, de Guitry, d'Henry Miller (dans son cher 14ème arrondissement) ou de Mac Orlan.
Pour Paucard, Paris n'est pas un musée mais le théâtre de mille émotions. Son récit parvient à traduire de manière très forte ce feuilleté de sensations : un dîner avec Jean Tulard et Anémone donnera lieu à une anecdote croustillante tandis qu'un monument, une église, une maison permettront à l'auteur de se livrer à un court rappel historique, etc.
Nous ne l'apprendrons à personne : Paucard est également un grand cinéphile et ces croquis parisiens n'auraient pas été complets s'ils n'avaient été traversées par de nombreuses réminiscences du 7ème art. Lorsqu'il se retrouve dans le Marais, ce sont les images du Paris populaire de Maigret tend un piège de Delannoy qui lui reviennent en mémoire. Et c'est « rue de Sévigné que se trouve la coopérative ouvrière du Crime de Monsieur Lange (1935) de Renoir ». Encore une fois, nous retrouverons le sens de la formule lapidaire qui fit le charme des notules rédigées par Paucard dans le Guide des films mais également un bon résumé de ses goûts et dégoûts en matière de cinéma.
Là encore, c'est le mélange d'anecdotes et de souvenirs qui fait le sel du récit : le fantôme de Michel Audiard que l'auteur célébra le temps d'un livre se superpose aux souvenirs de salles de cinéma disparues.
A l'inverse, il raillera un Godard « inventant le meeting » un jour où le cinéaste expliquait comment projeter des films sans projecteur tandis que Cléo de 5 à 7 d'Agnès Varda sera jugé abruptement « soporifique ».
Pour Paucard, rien ne vaut la série B américaine et le cinéma populaire français des années 50. Lorsqu'il passe devant le square d'Orléans dans le 9ème, l'auteur se souvient que le producteur Daniel Toscan du Plantier, « cuistre mondain », vivait là :
« J'avais été exaspéré par ses jugements méprisants concernant les films de genre, particulièrement américains. Les Amerloques sont ce qu'ils sont mais ils nous ont souvent aidés à vivre grâce à leurs films. Jusqu'à Honkytonk man (1983) Clint Eastwood était traité de fasciste par Télérama et jusqu'à Bird (1988) de raciste par le Nouvel Observateur. Chaque fois et à quelque heure que ce soit quand je passais dans le quartier, je sonnais à l'interphone de TDP et sans attendre disais « Vive Clint Eastwood ! » C'était certes une manière enfantine de venger Eastwood, Brian de Palma, Tobe Hooper, etc. mais ça me procurait tellement de plaisir... »
Plaisir de raconter, plaisir de célébrer (il faudrait ne pas oublier les chanteurs qu'affectionne l'écrivain), plaisir de râler et de se souvenir. Et, au bout du compte, plaisir partagé pour le lecteur...