L'inconnu du lac (2013) d'Alain Guiraudie avec Pierre Deladonchamps, Christophe Paou

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La pire des choses qui pourrait arriver au film de Guiraudie, c'est d'être récupéré (d'un côté ou de l'autre) pour en faire un symbole des crispations actuelles de la société française autour du mariage homosexuel. On sent la tentation, chez les thuriféraires de L'inconnu du lac d'en faire l'étendard d'un cinéma « queer » avec ce que cela suppose de conformisme « hors norme ». Toujours à la pointe du combat, les Inrockuptibles vont même jusqu'à titrer « sublime » et à annoncer péremptoirement qu'il s'agit d'un « chef-d’œuvre. Point barre ».

De l'autre côté, ceux qui prétendaient qu'il n'y avait aucun homophobie dans « la manif pour tous » montent soudain au créneau pour dénoncer chez Guiraudie de la « propagande homosexuelle » (sic) et pour faire interdire l'affiche dans les sinistres villes de Versailles (terre des collabos depuis la Commune) et Saint-Cloud.

 

L'intérêt de L'inconnu du lac, c'est de refuser irréductiblement toute catégorisation et de ne jamais confondre cinéma et prêche militante. Déjà dans Le roi de l'évasion, le personnage principal avait beau être homosexuel, il s'éprenait d'une jeune fille (mineure!) et s'enfuyait avec elle. Même si cette fois, il n'y aura plus que des hommes sur les rives d'un lac, il ne s'agit pas pour autant de circonscrire les frontières d'un ghetto homo. Ce huis-clos à ciel ouvert deviendra le petit théâtre des circonvolutions parfois imprévues du désir.

 

Ce qui fonctionne le mieux, c'est d'abord le sens de la topographie du cinéaste. Rarement on aura vu aussi bien filmé un bord de lac où gisent les corps nus de ces hommes en quête d'aventures ou encore ces sous-bois où se déroulent de fugitives étreintes. Que ce soit le soleil qui tombe derrière les feuilles des arbres ou le son de l'eau sur le corps des nageurs, Guiraudie filme à merveille les lieux, la nature et leur sérénité sensuelle. Pourtant, c'est dans ce cadre que les choses vont changer lorsque débarque un inconnu, Michel, qui va faire tourner la tête de Franck, un jeune premier athlétique au physique rappelant celui de Lambert Wilson.

 

Le film, qui joue beaucoup sur la répétition de saynètes quasi-naturalistes, va s'organiser autour de deux grands axes. Le premier, c'est la passion dévorante entre Franck et Michel que le cinéaste va filmer de la manière la plus crue qui soit (allant jusqu'aux inserts « hard »). Passion amoureuse avec ce que cela suppose d'aveuglement et de danger : Franck a bel et bien vu Henri noyer un homme à la tombée de la nuit.

Le deuxième axe, c'est la curieuse histoire d'amour/amitié qui naît entre Franck et Henri, un homme au physique relativement ingrat et plutôt déprimé. Il vient au lac sans se mêler aux autres, sans discuter, sans draguer. Pour ma part, je trouve que c'est l'aspect le plus intéressant du film dans la mesure où cette relation repose beaucoup sur des non-dits, du hors-champ (nous devinons qu'ils ont dîné un soir tous les deux en ville) et des sentiments qui n'osent s'exprimer. D'une certaine manière, Guiraudie touche à l'universel et ne cherche absolument pas à se cantonner à la question « homosexuelle » : il s'agit ici tout simplement d'amour, de désirs (pas forcément réciproques), de tendresse.

Inversement, l'histoire entre Michel et Franck me touche moins. Parce que Guiraudie la filme peut-être trop frontalement. Je ne suis pas en train de lui reprocher sa crudité. Au contraire, je trouve que sa démarche consistant à vouloir « sortir le sexe de la pornographie » (comme il nous l'a dit hier soir lors d'une très agréable rencontre) est tout à fait louable. Sauf que je ne m'identifie pas et que je n'éprouve aucun désir, en tant que spectateur, pour les scènes montrées à l'écran. Du coup, je les regarde avec une distance qui ne me permet pas de vibrer avec les amants. Je crois d'ailleurs que j'aurais préféré L'inconnu du lac s'il n'avait été interprété que par des femmes !

 

Ce qui finit par emporter l'adhésion, c'est cette sorte d'inquiétude que finit par distiller le film. D'une manière assez fine, Guiraudie filme les contradictions du désir. D'un côté, il loue avec une certaine grandeur une idée libertaire et buissonnière de l'hédonisme. Autour de ce lac se créé une sorte de véritable petite communauté libre où chacun peut venir butiner, se contenter de parler, d'une aventure éphémère ou rechercher une histoire d'amour. Il y a un joli personnage burlesque dans L'inconnu du lac : une sorte de voyeur qui se masturbe en contemplant les couples faisant l'amour. Alors qu'il aurait pu être traité comme un « pervers » à exclure (un peu à la manière de certains braves gens qui considèrent les homosexuels comme « dégénérés »), il est accueilli avec une certaine bienveillance et une certaine bonhomie. A partir du moment où l'on est entre adultes consentant, rien ne permet de juger les tours et détours du désir. Quand les amants veulent parler, ils lui demandent simplement de s'éloigner pour un instant en lui proposant de revenir lorsqu'ils feront l'amour.

Il est d'ailleurs assez amusant de voir de quelle manière Guiraudie construit tout sa mise en scène autour de jeux de regards.

Parallèlement à cet hédonisme débridé, le cinéaste pointe aussi les limites du libéralisme à tout crin. A travers un très beau personnage de flic décalé, il remet les pendules à l'heure et questionne cette fuite à tout crin dans la « consommation sexuelle » où les belles utopies libertaires d'antan se sont changées en consumérisme libéral et où la mort d'un homme ne semble rien changer aux étreintes qui se déroulent quotidiennement.

Chez Guiraudie, le désir est aussi inextinguible que dangereux, jusqu'à cette fin « ouverte » où Franck semble appeler l'homme qui pourrait le tuer. Parce qu'au bout du compte (du conte?), l'amour reste la seule solution valable, malgré la peur...

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