Père et fille
Somewhere (2010) de Sofia Coppola avec Stephen Dorff, Elle Fanning
En sortant de la salle, j’avoue m’être trouvé un brin dubitatif et un poil déçu par le quatrième long-métrage de Sofia Coppola, après deux petites merveilles (Virgin suicides et Lost in translation) et un semi échec (Marie-Antoinette). Sans avoir trouvé le film désagréable, je ne parvenais pas à comprendre l’incroyable engouement qu’il a pu susciter jusqu’alors (Lion d’or à Venise, accueil dithyrambique de la presse...).
Et puis j’ai écouté Le masque et la plume où, à une exception près, Somewhere s’est fait littéralement massacrer.
Autant je peux comprendre que l’univers présenté dans le film de Sofia Coppola puisse agacer (nous y reviendrons), autant ce déferlement de haine m’a paru totalement injuste ; comme si ces messieurs cherchaient à faire payer à la cinéaste son pedigree et jouissaient de pouvoir enfin se payer la tête d’une « fille de » (car, remarquez le, ils n’oseraient jamais le faire avec un « fils de » ou « fille de » français !).
Xavier Leherpeur trouve le premier plan du film (un long plan fixe, large, sur une route au milieu de nulle part et sur laquelle une voiture tourne en rond) lourd et sursignifiant. Ce n’est pas faux sauf qu’il oublie d’évoquer le cadre choisi par Sofia Coppola et la manière qu’elle a déjà de jouer avec le hors champ. Bien sûr, elle veut immédiatement montrer (un peu lourdement) que son héros est paumé et tourne en rond mais elle fait exister cette idée par une forme véritablement cinématographique qu’on retrouvera tout au long de l’œuvre, notamment par ces incessants appels du hors champ (Johnny recevant des textos anonymes ou croyant voir un 4x4 le suivre…). Souvent le cadre découpe l’espace de manière à laisser respirer tout ce qui se situe en-dehors dudit cadre, même dans une scène aussi futile que celle des danseuses qui finissent par s’évanouir hors-cadre (par le bas), donnant l’impression d’un rêve qui s’estompe pour un héros décidément décalé par rapport à la réalité.
Idem pour le plan final que le même Leherpeur a beau jeu de réduire à sa simple dimension « symbolique ». Il y a chez Sofia Coppola une vraie volonté de renouer avec un certain cinéma américain de la fin des années 60 et du début 70 qu’il serait intéressant de ne pas négliger (toutes proportions gardées, les derniers plans du film m’ont fait songer au sublime Macadam à deux voies de Monte Hellman). De la même manière, si la critique n’était pas aussi inculte, elle ne repousserait pas d’un revers de main la très belle scène où Johnny entreprend soudainement de suivre en voiture une parfaite inconnue jusqu’à sa villa. Effectivement, la scène ne « sert à rien » mais elle évoque quand même un très beau moment de Model shop de Jacques Demy et ce sont finalement aussi ces instants suspendus, digressifs, qui font le charme du cinéma de Sofia Coppola.
Revenons néanmoins au point de départ et à mon sentiment partagé à la sortie de la salle. Pour le coup, je dois admettre que la vacuité du projet pointée par les critiques hier soir est aussi une réalité (partielle) du film. Ce qui m’a gêné le plus, je crois, c’est la prodigieuse erreur de casting de Sofia Coppola. Attention, je ne suis pas en train de dire que Stephen Dorff est un mauvais acteur (ça n’est pas le cas) mais sa belle gueule de star « abîmée » finit par desservir le propos de la cinéaste. Vous allez prendre cela pour de la jalousie mais j’ai du mal à être ému par les problèmes existentiels d’un type qui ne vit que dans des palaces et des grands hôtels, qui s’endort chaque soir avec le spectacle émoustillant de deux jolies cheerleaders et sur qui toutes les femmes tombent comme la vérole sur le bas clergé breton (un simple regard suffit même parfois à ce qu’elles se dépoitraillent devant lui !). Ce qui touchait dans Lost in translation, c’était aussi la performance de Bill Murray et l’idée que cette « star » avait encore quelque chose d’humain et d’accessible, donc d’universel.
Filmer le vide existentiel d’une star de cinéma, c’est également prendre le risque d’être happé par cette vacuité et c’est ce qui arrive à Somewhere dans sa première moitié.
Puis arrive le personnage le plus intéressant du film, à savoir Cleo, la fille de 11 ans de Johnny. Peu à peu, le point de vue du film glisse progressivement vers une assez jolie vision d’un rapport difficile entre père et fille. Non pas que ce rapport soit conflictuel mais que le vrai « manque » se situe davantage du côté de la fillette. C’est dans ce lien père/fille (certainement très autobiographique) que je vois se dessiner le véritable enjeu du film, celui d’une petite princesse n’ayant manqué de rien (elle est traînée d’hôtels de luxe en soirées de gala, de Los Angeles à Milan) sauf de la présence de ses parents séparés.
Ce rapport père/fille, Sofia Coppola le traite avec une véritable délicatesse, entre moments de complicité partagée (les glaces mangées au lit, les parties de Guitar hero ou de Wii) et secrète mélancolie (Cleo s’endormant sur l’épaule de son père en écoutant un morceau de guitare sèche).
Derrière le luxe, le calme et la volupté (le père et sa fille au bord d’une piscine, comme dans un tableau de David Hockney, alors que la caméra suggère le côté éphémère de ce l'instant en zoomant en arrière très lentement) se devinent les fêlures et la tristesse d’une existence sans véritable sens.
Pour cet aspect là, Somewhere mérite le détour même si le talent de Sofia Coppola est parfois un peu desservi par la vacuité de l’univers décrit et par une ambiance trop ostensiblement « pop et mélancolique ».