Peur sur la ville
New York, deux heures du matin (1984) d’Abel Ferrara avec Tom Beranger, Mélanie Griffith
J’ai fait une bien cruelle expérience hier soir.
Vous n’êtes pas sans savoir qu’en bon cinéphile maniaque (j’assume !), je note dans des cahiers tous les films que je vois. Or il se trouve que pour la première fois de mon existence, j’ai réalisé après avoir regardé le film de Ferrara que je l’avais déjà vu. Pas un seul passage de l’œuvre ne m’a mis la puce à l’oreille et pendant 1h40, je suis resté persuadé de le découvrir pour la première fois. On appelle ça Alzheimer, n’est-ce pas ? (Parlez franchement docteur, je suis prêt à tout entendre !)
Certains me diront que le film ne méritait peut-être pas qu’on s’en souvienne. C’est injuste car New York, deux heures du matin est un film tout à fait estimable. En 1984, Abel Ferrara ne se prenait pas pour un Auteur sentencieux (j’ai gardé un souvenir pénible de Mary) et faisait du bon cinéma de genre, avec une Mélanie Griffith qui n’hésitait pas à l’époque à exhiber sa poitrine mignarde (Cf. L’excellent Body double de Brian de Palma).
Le film est un thriller musclé où un psychopathe agresse et charcute des strip-teaseuses sortant de leur boulot. Matt (Tom Beranger), un ancien boxeur et son ami Nicky vont mener l’enquête puisqu’ils sont eux-mêmes chargés de fournir des effeuilleuses aux night-clubs.
Dans un New York nocturne (donc toujours extrêmement photogénique), Ferrara met en scène un polar extrêmement rythmé et sans mauvaise graisse qui nous happe sans relâche. La mise en scène est sèche comme un coup de trique et ménage ses effets avec une économie de moyen assez notable.
Ce qui pourrait n’être qu’une série B plaisante (ce qui ne serait déjà pas mal !) se double en plus d’un véritable regard de cinéaste. Il est incontestable que Ferrara est un auteur et l’on sent ici sa patte. Vous allez dire que je me contredis mais ce je lui reprochais plus haut, c’est surtout la complaisance avec laquelle il n’hésite plus (parfois) à exhiber sa griffe avec ostentation et à accumuler les « tics auteurisants ».
Ce n’était pas encore le cas dans New York, deux heures du matin où l’on sent planer l’influence de Scorsese lorsqu’il s’agit de donner une vision hyperréaliste de la ville (Mean streets), d’évoquer un univers interlope de mafieux (Matt et Nick s’opposent à d’autres « fournisseurs » de filles) ou de mettre au cœur du récit le problème de la rédemption.
Matt est, en effet, un ancien boxeur (coucou Raging bull !) qui a raccroché le jour où l’un de ses adversaires est mort sur le ring. Comme la plupart des héros de Ferrara, il porte en lui le poids de la faute et va tenter de l’expier. Je ne dirai pas comment se termine le film mais cette rédemption a quelque chose d’ambiguë qui correspond assez à la tonalité « grise » du film, à cet univers où l’on peine à distinguer le Bien du Mal.
Tout en restant dans le cadre du genre, Ferrara commence à mettre en place les thèmes que l’on retrouvera dans ses futurs chefs-d’œuvre (The king of New York, Bad lieutenant) : héros ambigus, hantés par le poids du Péché (dans une dimension « sado catholique » assez caractéristique des cinéastes italo-américains), univers interlopes de mafieux et petites frappes, peinture hyperréaliste de la jungle urbaine…
Le résultat est carré et maîtrisé même si on peut regretter que Ferrara ne creuse pas plus certaines pistes (les motivations du « tueur » par exemple). Ca n’empêche pas le film d’être très intéressant et le spectateur de déceler dans cet opus les prémisses de ce que sera par la suite le cinéma de Ferrara…