Polisse (2011) de et avec Maïwenn et Karin Viard, Marina Foïs, Joey Starr, Nicolas Duvauchelle, Emmanuelle Bercot, Sandrine Kiberlain

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Dans Polisse, son troisième long-métrage, Maïwenn s'est donnée le rôle d'une photographe godiche engagée pour suivre une équipe de la brigade de protection des mineurs et rendre compte de son quotidien. Une des scènes les plus intéressantes du film (la seule?) est ce moment où Fred (Joey Starr) prend violemment à partie la jeune femme et lui reproche de ne sortir son appareil que lorsqu'il y a des larmes, du misérabilisme et de ne pas traduire la réalité de son métier. A ce moment précis, le spectateur pense que Maïwenn va mettre un peu en danger le dispositif de son film et s'interroger sur sa pratique de cinéaste. Espoir vite déçu puisque la scène ne sert finalement qu'à avaliser ce qu'elle semble dénoncer : une vision caricaturale et bêtement sociologique de la société française.

Pour mettre en lumière l'échec absolu du film, il n'est même pas nécessaire de revenir sur ses séquences les plus problématiques (la séparation du petit garçon noir et de sa mère, le fou-rire des flics face à la gamine qui confesse avoir sucé des gars pour récupérer son portable...) : il suffit de prendre le simple exemple d'une conversation sur Sarkozy (très mal filmée : des champs/contrechamps classiques, artificiellement dopés par un filmage « caméra épaule » et des personnages qui parlent la bouche pleine) entre deux flics. Pour l'un, c'est une catastrophe, pour l'autre, c'est le seul président qui a réellement soutenu la police. Et pour Maïwenn, toute la complexité du Réel se limite à ça : lorsqu'un personnage dit « blanc », il suffit de montrer qu'un autre dit « noir » pour être dans la vérité. Il ne s'agit pas de penser la réalité ou la société mais de la réduire à la plaie de notre époque : le débat. Et si la scène peut paraître anecdotique, elle traduit parfaitement la construction d'un film ne reposant que sur ce type d'oppositions schématiques.

Si la cinéaste met en scène un personnage de flic à la fois femme et d'origine arabe, c'est pour mieux l'opposer au méchant père de famille fanatisé par l'Islam qui veut renvoyer sa fille au bled et l'obliger à prendre un mari qu'elle n'a pas choisi. Quand on évoque un cas de pédophilie en banlieue, il faut absolument en montrer un au cœur de la haute bourgeoisie parisienne pour « équilibrer »...

Du coup, le film finit par se réduire à un catalogue de clichés vaguement sociologiques censés nous documenter sur tous les maux contemporains : pédophilie, misère sociale, violence conjugale, sort fait aux femmes... Autrefois, on aurait appelé ça un film pour les Dossiers de l'écran mais il semblerait que Maïwenn soit parvenue à convaincre une critique unanimement à ses genoux (ou presque !) en se drapant des atours de la « modernité » (il faut vraiment être un incompétent notoire comme Eric Neuhoff pour comparer Polisse à du Cassavetes!).

 

Il ne suffit pourtant pas de filmer caméra à l'épaule (simulacre de reportage « choc ») et de s'approcher au plus près des visages pour rendre compte de l'opacité du Réel. Ce qui pêche le plus dans Polisse, c'est son absence totale de point de vue cinématographique. Dans son excellente analyse, Ludovic montre fort bien l'incohérence totale qu'il y a chez la cinéaste de passer d'un récit entièrement chronologique et linéaire à un montage alterné nous projetant soudainement au cœur de l'intimité d'une famille huppée parisienne afin de mettre en place un suspense douteux (on se doute rapidement que le père abuse de sa fille). Pourquoi le fait-elle ? Simplement parce que toute sa mise en scène ne tend qu'à la manipulation la plus suspecte du spectateur. En s'introduisant chez ces bourgeois, elle justifie le passage où Joey Starr craque et tabasse le pédophile qui a l'audace de se vanter de ses actes sous prétexte qu'il est « couvert ». Maïwenn gagne sur tous les tableaux : montrer qu'il y a effectivement de la violence chez la flicaille mais qu'elle est « humaine », dénoncer la « hiérarchie » qui empêche les braves petits soldats de faire leur boulot, prendre une posture de gôôôche en soulignant les injustices sociales et faire jouir le spectateur lorsque l'immonde bonhomme se fait dérouiller.

 

Comme dans le très médiocre L627 de Tavernier et l'épouvantable Petit lieutenant de Beauvois, Maïwenn se place du côté des flics pour asséner des leçons de morale à deux sous (paradoxe piquant, c'est par le biais de cette brute inculte de Joey Starr qu'elle se permet de nous donner ces leçons!). Du coup, les personnages ne sont pas traités de la même manière : certains ont le droit à la compassion, d'autres non. D'un côté, la mise en scène insiste lourdement sur les larmes du petit garçon arraché à sa mère pour être placé dans un foyer; de l'autre, on fait rire le spectateur avec les flics qui se moquent d'une ado prête à tout pour récupérer son portable. Ce n'est même pas le rire qui est obscène dans cette scène mais encore une fois, le point de vue adopté par la cinéaste. Car pour montrer le côté « humain, si humain » de ces braves policiers en proie à un fou-rire ; elle n'hésite pas à sacrifier le personnage de la jeune fille dont on se contente de rire. Ce qui est obscène, c'est le chantage au « Réel » (la scène semble tellement « vraie ») alors que suinte derrière tous les artifices du théâtre de boulevard le plus rance (avec réplique naïve de la gamine - « mais c'était un beau portable- » et coup de semonce final lorsque Marina Foïs rentre à nouveau dans la pièce pour placer sa réplique).

 

Polisse ne cesse d'abuser de ce chantage au « Réel », soit pour distribuer des bons points (n'oublions pas que Maïwenn fait partie de l'empire du Bien : courageusement contre la pédophilie -diable, que c'est engagé!- et contre la pauvreté, la violence, le machisme, l'islam intolérant...), soit pour susciter une émotion parfaitement fabriquée. Sans revenir sur la séparation douloureuse du petit africain placé en foyer, citons pour mémoire le ridicule « clip humanitaire » avec les enfants clandestins roumains qui se retrouvent dans un bus juste après avoir été arrachés aux mains d'ignobles exploiteurs. Je crois que ces recadrages aux zooms sur les yeux humides ou les sourires radieux des gamins sont ce que j'ai vu de plus hideux au cinéma cette année !

 

Encore une fois, ce « typage » sociologique, ce catalogue de clichés sociétaux empêchent toute pensée cinématographique. L'illusion du « vrai » (cette esthétique de série policière française) n'est en aucun cas suffisante pour masquer l'indigence du propos et des procédés de manipulation dont le film use et abuse d'une manière fort désagréable.

 

NB : Je n'ai même pas évoqué l'aspect auto fictionnel du projet (indigent) et l'incapacité de la cinéaste à construire des personnages. Là encore, tout le côté « domestique » du film (la vie de famille des flics, leurs amours, leurs emmerdes...) se réduit à une enfilade de stéréotypes à peine dignes d'un magazine féminin (l'opposition basique entre la sentimentale et la « féministe » anti mecs!) et les silhouettes qui s'agitent à l'écran n'ont aucune épaisseur, aucune ambiguïté...

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