Présumé coupable
L'assassin (1961) d'Elio Petri avec Marcello Mastroianni, Micheline Presle (Editions Carlotta). Sortie le 6 mars 2013
L'assassin est le premier long-métrage d'un cinéaste italien que je n'aime pas beaucoup : Elio Petri. Dans mon esprit, ce nom est définitivement associé à cette « fiction de gauche » que je ne supporte pas. Même si j'en garde peu de souvenirs aujourd'hui, Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon et La classe ouvrière va au paradis sont d'affreux pensums, démonstratifs et bien-pensants.
J'avais donc quelques craintes de découvrir un nouveau « film à thèse » avec L'assassin mais la surprise fut plutôt agréable. Si Petri s'y montre volontiers corrosif contre le pouvoir policier et la bureaucratie italienne ; il réalise avant tout un film de genre (une sorte de thriller kafkaïen où, comme chez Lang et Hitchcock, un homme est accusé à tort d'un crime qu'il n'a pas commis) et le beau portrait d'un séducteur (incarné génialement par le grand Marcello Mastroianni).
Antiquaire filou, volontiers cynique et égoïste, Alfredo Martelli est arrêté un beau matin à son domicile et conduit au commissariat. On l'accuse du meurtre de celle qui fut sa maîtresse (Micheline Presle) à qui il avait rendu visite la veille à son hôtel...
Avant toute chose, il convient de souligner le soin que Petri a apporté à sa réalisation : le cadre est souvent très beau et met en valeur les éléments environnants pour donner un sentiment d'étrangeté (l'architecture, le musée, la mer...) ou d'enfermement du personnage (les murs de la prison, les nombreuses vitres ou miroirs qui placent Alfredo face à lui-même). Sans ostentation, Petri se permet même quelques plans-séquences assez virtuoses, notamment lors de ce passage où un simple panoramique permet de passer d'un flash-back au présent et de revenir ensuite au passé dans le mouvement.
Ces va-et-vient entre le passé du personnage et le présent de la narration composent la structure principale d'un film à la construction relativement élaborée.
Car ce qui intéresse le cinéaste, c'est moins l'intrigue à proprement parler (est-ce que Martelli a tué ou non sa maîtresse?) que tous les éléments qu'il va pouvoir greffer sur cette trame afin de complexifier la personnalité de son personnage. Difficile de définir la teneur du projet (même si, honnêtement, on se doute de la réponse) sans révéler le fin mot de l'histoire. Disons qu'à l'instar de Lang (toutes proportions gardées), Petri parvient à brouiller les frontières entre le Bien et le Mal. Car si tout semble montrer que le personnage a été arrêté injustement et qu'il est victime d'un pouvoir policier accablant, tous ces flash-back permettent aux spectateurs de découvrir la personnalité ambiguë d'Alfredo.
Grâce à son physique de Don Juan, celui-ci parvient à séduire les femmes et à les manipuler, que ce soit les riches (comme sa nouvelle « fiancée ») ou les modestes (une scène terrible où il propose à l'un de ses complices de se faire passer pour un médecin pour lui permettre de voir la petite bonne (qui lui est totalement dévouée) nue). Alfredo est un être veule, égoïste (voir la séquence avec l'homme désespéré qui finit par se suicider) et cynique. Il flirte toujours avec l'escroquerie lorsqu'il achète pour une bouchée de pain des objets volés afin de les revendre à des prix prohibitifs (mais n'est-ce pas l'essence du commerce que de reposer sur l'escroquerie?).
Du coup, le film devient intéressant pour la tension qu'il parvient à créer entre sa ligne kafkaïenne (un héros innocent pris dans les rouages d'une machinerie qui le dépasse et le broie) et sa dimension « langienne » (l'innocence n'existe pas vraiment et chaque individu possède une certaine part de culpabilité).
Parallèlement, Petri commence déjà (mais dans le cadre du genre, sans absolument vouloir réaliser un dossier) à dénoncer les fonctionnements douteux des institutions italiennes. Comme le souligne justement Jean Gili en bonus, lorsque Alfredo est libéré, le commissaire le qualifie devant les journalistes « d'homme bon ». Il n'est désormais plus question d'innocence ou de culpabilité mais d'un jugement moral sur un homme dont on sait parfaitement qu'il ne l'est pas (moral et bon). Cette omnipotence du pouvoir judiciaire et policier, capable de définir ce qui est « bon » et « mauvais » (et qui ne se limite pas à juger des actes commis) finit par devenir vraiment inquiétante dans la mesure où l'individu n'a aucun recours pour se défendre et se disculper, sinon clamer sans arrêt son innocence.
Les scènes de prison sont assez impressionnantes, surtout lorsque deux autres prisonniers harcèlent Alfredo au point de le pousser quasiment à avouer un crime qu'il n'a certainement pas commis.
Sarcastique et ambiguë, cette fable sur la place de l'individu au cœur d'institutions qui l'écrasent montre la talent de Petri à l'époque où il ne cherchait pas encore à illustrer des « dossiers » déjà joués d'avance.