Drive (2011) de Nicolas Winding Refn avec Ryan Gosling

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Prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes, Drive est devenu en peu de temps LE phénomène cinématographique du moment qui a propulsé son réalisateur (c'est le premier film que je vois de Nicolas Winding Refn) sur le devant de la scène. Face au concert d'éloges qui a accueilli ce film, je me sens tout penaud d'émettre quelques réserves d'autant plus que cette critique arrive un peu après la bataille et risque de me faire passer pour un snob.

Lançons nous quand même.

Disons-le d'emblée, la séquence d'ouverture de Drive est absolument éblouissante. Winding Refn filme le détail d'un braquage et tout fonctionne : la cinégénie si particulière de Los Angeles la nuit, le jeu avec le point de vue (tout ce passage est mis en scène à travers le regard du conducteur et nous n'en percevons que des détails fragmentaires – la fusillade reste hors-champ, par exemple-), la manière dont le cinéaste parvient à faire monter le suspense en jouant sur l'attente, les regards jusqu'à l'impressionnante course-poursuite. De la même manière, Ryan Gosling impose immédiatement une présence minérale et peaufine le côté presque « mythologique » du personnage (sa manière de mâchouiller son cure-dent).

En quelques minutes, le réalisateur parvient à captiver le spectateur et je dois avouer qu'au moment du générique, j'étais déjà conquis. Malheureusement, même si Drive reste toujours un film brillant et impressionnant, je dois avouer que quelque chose se grippe et que la tension initiale à tendance à se déliter un peu.

 

Il s'avère que ce mystérieux chauffeur qui participe à des braquages est également cascadeur et humble mécanicien. Il rencontre une jeune femme et son fils et va peu à peu mettre les doigts dans un engrenage fatal lorsqu'il va choisir d'aider le mari de cette voisine dont il est tombé amoureux.

A travers cette figure féminine, Winding Refn joue la carte du rachat et de la rédemption de son héros mêlé à des affaires criminelles. Sauf que cette relation amoureuse, platonique et sublimée, manque un peu de consistance et ne nous touche guère. Et lorsque le cinéaste nous concocte une séquence de balade béate en voiture avec la mère et l'enfant ravi, on se prend à penser que la mise en scène louche un peu trop du côté de Michael Mann (ce qui est loin d'être un éloge dans mon esprit!) -avec ce que cela suppose de filtres colorés jaunâtres- et qu'elle est moins convaincante.

 

Tout le monde l'a souligné : Drive cherche à renouer avec les grands films noirs des années 70 et il est difficile de ne pas songer à Taxi Driver en le voyant (Gosling a parfois de faux airs de De Niro). Sur le principe, je n'ai rien contre et je suis même ravi de voir un film « d'action » qui n'hésite pas à prendre son temps et qui ne confond pas découpage avec les montages épileptiques à la mode aujourd'hui (en terme de mise en scène, les scènes d'action sont parfaites et ce sont les meilleures que nous ait donné le cinéma américain depuis une éternité). Cependant, et parce que le récit est quand même un peu anémique (il faut aussi le reconnaître), on finit par se demander ce que Drive peut nous dire de notre époque, ce qu'il apporte de plus à ce que nous avait déjà montré certaines œuvres il y a 30 ans. Encore une fois, le problème n'est pas tant que le film ne s'inscrive pas dans le monde d'aujourd'hui ou qu'il ne fasse pas « avancer le cinéma » mais qu'il donne parfois l'impression de n'être qu'un exercice de style malin et «tendance » (je le répète, il n'est pas que ça mais j'ai eu du mal à dissiper totalement cette impression à certains moments).

Ce héros taiseux, cette bande originale synthétique (considérant les années 80 comme la pire décennie de tous les temps, je ne peux pas adhérer à cette musique nostalgico-branchée) et ces accès de violence : tout paraît un peu trop calculé et calibré pour un public-cible bien défini.

 

La violence : parlons-en, de cette violence. Autant je louais la très belle sobriété de la séquence d'ouverture, autant par la suite Winding Refn oublie un peu cette notion de point de vue et de hors-champ pour nous proposer quelques scènes d'horreur que je trouve fort laides. Encore une fois, j'ai une certaine expérience du sang à l'écran et il ne s'agit pas de s'offusquer comme une chaisière abonnée à Télérama. Cependant, ces passages suintent les trucages numériques et affaiblissent de ce fait la belle minéralité de la mise en scène. De la même manière, on se dit que le cinéma peut aussi suggérer et jouer avec le hors-champ plutôt que de montrer complaisamment des cervelles qui éclatent, des gorges tranchées et autres réjouissances du même style.

Là encore, cette esbroufe assez gratuite dessert le propos et finit par rendre inconsistant des personnages de toute façon voués à une mort horrible.

 

Reste cependant, à côté des qualités de réalisation déjà signalées, une certaine force « atmosphérique » du film. Le cinéaste parvient assez bien à rendre palpable la bulle dans laquelle évolue ce chauffeur. Bulle dont les parois pourraient être ce rétroviseur qui reflète systématiquement le regard d'un homme dont on ignorera tout. Derrière ces yeux, il y a aussi bien la douceur de l'amour, la tristesse de la solitude et la folie la plus furieuse (voir ce plan impressionnant où Gosling se retrouve avec le visage couvert de sang). Il y a une énigme nommée «humanité ».

 

Dommage que Winding Refn n'évite pas totalement une certaine pose. Un peu plus de sobriété pourrait faire de lui un grand artiste alors qu'il n'est, à mon sens, qu'un bon cinéaste plein de talent. C'est tout le mal que nous lui souhaitons...

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