Le mariage à trois (2010) de Jacques Doillon avec Pascal Greggory, Julie Depardieu, Agathe Bonitzer, Louis Garrel

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S’il y a bien une chose qu’on ne peut pas reprocher à Doillon, c’est de rester fidèle à lui-même ! Dès la première séquence de ce nouveau huis clos hautement psychologique où les personnages ne cessent de discuter, de se heurter, d’analyser ses moindres faits, gestes et ceux des autres ; on se dit que Doillon n’a pas changé d’un poil depuis La femme qui pleure.

Est-ce alors moi qui ai évolué et qui ai plus de mal aujourd’hui à supporter ce cinéma de chambres à coucher construit sur une trame théâtrale très écrite ou est-ce qu’on peut distinguer deux courants dans la veine intimiste de Doillon, dont un auquel je serais moins sensible ?

Même si j’avoue ressentir une certaine fatigue devant chaque nouvel opus du cinéaste (je suis loin de l’enthousiasme qui m’avait saisi lorsque j’avais découvert Le petit criminel, Le jeune Werther ou La vengeance d’une femme) ; je pense néanmoins qu’il y a « deux » Doillon.

D’un côté, le cinéaste inspiré qui ancre des récits très personnels dans un contexte social (et non « sociologique ») fort, que ce soit dans Le petit criminel ou le récent Le premier venu (avec toujours cette idée d’une « quête », d’un manque à combler – la recherche d’une sœur, d’une mère, d’un camarade mort, etc.)

De l’autre, il y a le Doillon qui tourne un peu en rond dans des huis clos psychodramatiques étouffants. Les choses ne sont pas simples parce que cette formule a aussi donné de beaux résultats (le bergmanien La vengeance d’une femme ou même Amoureuse) mais elle abouti parfois à des films totalement artificiels, qu’ils soient sur un registre hystérique (La pirate) ou apaisé (l’assommant Comédie !).

Malheureusement, Le mariage à trois s’inscrit dans cette veine du cinéaste. Auguste (Pascal Greggory), un metteur en scène de théâtre, tente de finir sa pièce dans une maison à la campagne. Débarque alors sa compagne Harriet (Julie Depardieu) et un jeune premier dégotté par le producteur, Théo (Louis Garrel). Or, il s’avère assez vite que Théo est l’amant d’Harriet. Le trio classique est complété par la présence de Fanny (Agathe Bonitzer), étudiante faisant office de secrétaire d’Auguste, et qui va bien vite rentrer dans cette ronde des sentiments contrariés…

Pour le dire de façon un peu caricaturale, le film est une sorte de vaudeville dont on aurait confié la relecture à Bergman. La convention des situations est lestée d’une haute teneur en psychologie qui passe par l’abondance de dialogue assez « littéraires » (la « musique Doillon »). Tous les thèmes chers au cinéaste sont également remis sur le tapis : le désir et son (in)assouvissement, les sentiments jamais partagés au même instant, l’attirance pour la jeunesse, le trio amoureux, etc.

Que le film soit insupportablement bavard ne signifie pas que Doillon oublie de faire du cinéma. On notera qu’il n’a pas perdu la main lorsqu’il s’agit de chorégraphier ses plans (les incessantes entrées et sorties de champ qui donnent l’impression que les personnages n’arrêtent pas de se tourner autour, de se chercher comme des bêtes fauves avant de se jeter les uns sur les autres) et de faire se mouvoir un corps dans un cadre.

La direction d’acteur est également impeccable : le cinéaste parvient à faire que de bons comédiens comme Julie Depardieu et Louis Garrel soient à leur meilleur niveau tout en les obligeant à se renouveler, à aller puiser de nouvelles ressources (on est loin du Garrel fatiguant héros des films d’Honoré !). Pascal Greggory en séducteur vieillissant est impérial et Doillon sait parfaitement mettre en valeur la gaucherie et la fragilité d’Agathe Bonitzer pour en faire un personnage à la Charlotte Gainsbourg.

Le film n’est pas sans qualité mais Dieu qu’il est épuisant et artificiel ! Cette valse-hésitation de désirs et de sentiments (et que tu m’attires, et que je te repousse, et qu’il te jette dans les bras de l’autre, et qu’on s’engueule, et que vous vous déchirez, et qu’ils se disputent avant de s’étreindre…) est tellement signifiante (pas un mot du dialogue qui ne donne lieu à cinq minutes de palabres et d’interprétations diverses), tellement réglée qu’elle en devient totalement asphyxiante.

Et l’artificialité de la situation, des dialogues ne renvoie finalement qu’à un petit univers clos qui est celui du cinéma de Jacques Doillon.

 

Finalement, le seul aspect un peu émouvant du film, c’est lorsqu’il laisse transparaître des éléments d’autoportrait. Il est évident qu’Auguste est une sorte d’alter ego du cinéaste et qu’il touche dans son désir de ne pas vieillir. Car ce qui apparaît, au final, dans Le mariage à trois, c’est que ce metteur en scène ne semble pratiquer son art que pour pouvoir continuer à séduire des jeunes filles de 20 ans alors qu’il en a plus de 50 ans. Il y a d’ailleurs deux très belles scènes de nudités (je ne parle pas de celles, plus classiques, qui nous dévoilent les charmes de Julie Depardieu) où le cinéaste filme admirablement le corps d’Agathe Bonitzer. Deux courts passages qui disent que malgré l’âge, il a toujours du sentiment et du désir.

Deux beaux moments qui nous montrent également que Doillon a parfaitement compris que, comme l’écrivait Léon-Paul Fargue : « il n’y a d’aristocratie que la jeunesse des femmes »… 

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