Des filles en noir (2010) de Jean-Paul Civeyrac avec Elise Lhomeau, Léa Tissier, Elise Caron

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Air connu : « j’ai eu 20 ans et je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie » (Nizan). Ou encore « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans » (Rimbaud).

Sérieuses, Noémie et Priscilla le sont pourtant. A tel point qu’elles songent continuellement à la mort et au suicide. Pourtant, rien ne les distingue foncièrement de la population lycéenne qui les environne si l’on excepte leur allure gothique (vêtements noirs, ongles noirs…). Elles vont pourtant décider de passer à l’acte ensemble et de mettre fin à leurs jours…

La force du film de Civeyrac (cinéaste discret et attachant à qui l’on doit, entre autres, Ni d’Eve, ni d’Adam, Les solitaires ou Le doux amour des hommes) est de ne jamais chercher de raisons psychologiques ou sociologiques à ce désir de mort chez ces deux adolescentes. Une belle scène du film oppose Noémie à une vieille femme paralysée à l’article de la mort. La jeune fille, chargée de faire la lecture à la grabataire, se voit soudain confronter à un désir de vie qui lui échappe totalement. Tout comme une certaine volonté de vivre à tout prix peut nous paraître incompréhensible, la pulsion de mort qui anime les deux héroïnes restera opaque.

En cela, Civeyrac traduit assez bien un malaise propre à cette période délicate qu’est l’adolescence. Malgré des situations familiales difficiles sans être odieuses (Noémie vit seule avec une mère d’apparence modeste tandis que Priscilla a quitté le giron familial et habite avec sa sœur), rien ne semble suffisamment insupportable dans leur vie pour donner l’envie d’en finir. Rien si ce n’est un grand vide existentiel qui est la marque de Civeyrac dont les films montrent toujours des êtres tiraillés entre les contingences matérielles du monde et un désir éperdu d’Absolu. C’est moins l’angoisse d’un avenir incertain qui perturbent les deux jeunes filles qu’un refus ferme de devoir se plier à la médiocrité d’une « place » dans la société ; de devoir abandonner leurs individualités pour devenir une bonne employée, une bonne épouse, une bonne consommatrice, une bonne mère…

On trouvait déjà ce désir d’Absolu chez le petit voyou de Ni d’Eve, ni d’Adam ou chez le poète séducteur du Doux amour des hommes. Ce qu’il y a de beau dans Des filles en noir, c’est la manière dont le cinéaste parvient à traiter un sujet très dur (le suicide chez les adolescents) de façon presque douce. Il y aura bien quelques scènes où les adolescentes « explosent » (notamment lors d’un repas familial) mais il s’agira surtout de se lover dans leur univers et de filmer l’énigme de ces deux jeunes filles. Le film navigue constamment entre la noirceur totale et une vraie luminosité que le cinéaste parvient à capter sur les beaux visages de ses deux comédiennes, absolument époustouflantes toutes les deux.

 

S’il fallait néanmoins faire une petite réserve, je dirais que le film ne se départit jamais d’une certaine affectation dans la gravité. Pour bien souligner la soif d’absolu de ses personnages, Civeyrac la relie à la grande tradition du romantisme noir (le terme galvaudé de « romantisme » n’a bien évidemment rien à voir avec les bluettes à l’eau de rose dont Meg Ryan ou Julia Roberts se sont faites les spécialistes !) qu’il soit littéraire (Kleist) ou musical (Brahms, Schumann). Cette volonté de plaquer sur le mal de vivre de deux adolescentes d’aujourd’hui toute une tradition d’artistes hantés par l’Absolu donne parfois au film un côté un peu artificiel et très « cinéma d’auteur français » conscient de ses effets.

Cette petite limite posée, Des filles en noir est un film sensible et juste qui finit par transcender son sujet. Car finalement, il s’agit moins d’un film sur le suicide que sur l’amitié. Ce qui touche, c’est cette relation indéfectible entre les deux adolescentes dont la volonté de fusion est telle qu’elle ne peut s’accomplir que dans la mort.

Civeyrac émeut parce qu’il montre qu’une telle amitié, qu’un lien aussi fort n’est envisageable qu’à cet « âge des possibles » que constitue l’adolescence. D’un point de vue métaphorique, la fin du film (que je ne révèlerai pas mais elle est très belle) marque, en quelque sorte, le passage à l’âge adulte.

Quelque chose de ce désir d’Absolu subsiste (notamment à travers l’Art) mais un fil s’est rompu. C’est un peu triste mais c’est sans doute ce qu’il est convenu d’appeler « la vie »…

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