Scènes de ménage
La bataille de Solférino (2013) de Justine Triet avec Laetitia Dosch, Vincent Macaigne
Une fois de plus, il convient de s'interroger sur l'incroyable consensus critique qu'a suscité ce film. Si je comprends parfaitement le désir de certaines revues de promouvoir le « jeune cinéma français » et de soutenir les nouveaux réalisateurs en accompagnant leurs premiers films, je m'étonne cependant que Justine Triet ait été acclamée avant que son film soit terminé ! Tout se passe comme si cette jeune femme (tant mieux pour elle, ceci dit) avait été adoubée par anticipation et qu'elle était désormais autorisée à faire n'importe quoi.
De plus, la question qui se pose lorsqu'on voit ce film est qu'est-ce que la cinéaste apporte de nouveau (ne serait-ce qu'un ton, un style) par rapport à ce qui se fait classiquement dans le cinéma français depuis des décennies et qui justifierait l’appellation de « nouvelle nouvelle vague » (on avait tenté de nous faire le coup dans les années 90 mais qui, aujourd'hui, se réfère encore à Cyril Collard, Eric Rochant ou Michel Spinosa ?).
Pour prendre un exemple récent et aussi imparfait soit-il, La fille du 14 juillet témoignait d'une belle santé et de la naissance d'un ton original et novateur.
En ce qui concerne La bataille de Solférino, la tarte à la crème dont usera le plus communément la critique est la manière dont Justine Triet parvient à articuler la sphère privée (un homme qui passe chez son ex pour voir ses enfants alors que celle-ci doit partir à son boulot et qu'elle refuse absolument ce « droit de visite » en son absence) et la sphère publique (le film se déroule le jour même de l'élection de François Hollande).
Essayons de détailler les problèmes inhérents à ces deux « sphères ». D'abord, le fait d'avoir voulu ancrer un récit dans ce que l'un des personnages nomme un « événement historique » (ce qui peut déjà faire sourire lorsqu'on se souvient de l'insignifiance des deux candidats opposés!) me paraît l'exemple typique de la fausse bonne idée. Parce que reconnaissons le tout-de-go, à part quelques plans un peu plus forts d'altercations et d'échauffourées, Justine Triet ne fait rien de cet événement. Faites le test vous-même : remplacez l'élection de François Hollande par une finale de coupe du monde de football ou une manifestation contre le « mariage pour tous » et imaginez le film : ce serait exactement le même ! « L’événement » n'est pas traité en-soi mais comme toile de fond, comme un prétexte et un simple décor. Pour preuve, les atterrants « micros-trottoirs » du film qui réduisent la parole à une bouillie d'opinions et de préjugés pré-mâchés par la télévision et la presse que de pauvres quidams recrachent avec l'aplomb et la certitude du militant borné. Les socialistes ressemblent, de plus, à une caricature de lecteurs des Inrockuptibles tandis que la cinéaste a réussi à trouver un sosie de Léaud jeune parmi les excités de l'UMP.
Dès lors, rien ne distingue La bataille de Solférino d'une de ces ineptes soirées électorales télévisuelles : militants braillards comme des supporters de foot (on sait que la politique est devenue depuis longtemps une grande foire sportive, sans autre enjeu que l’appât de la victoire et le paraître), scènes de liesse populaire, mouvements de foule... Je ne vois pas ce que le film dit de plus sur la « réalité française » que ces fameux (et indigents) reportages diffusés à la télévision !
Quant à la sphère privée, le film peut se résumer à la traditionnelle scène de ménage qu'affectionne tant le cinéma français mais étirée sur une heure et demi d'hystérie sans fin. Dès le prologue, le ton est donné : une journaliste qui tente de s'habiller et de donner les consignes à un baby-sitter pour la journée tandis qu'une petite fille ne cesse de brailler (la gamine est insupportable et, comme le soulignait malicieusement un internaute, le film est un parfait plaidoyer pour la contraception et l'avortement!). En se vautrant d'emblée dans le naturalisme le plus convenu et le plus étriqué, le film est immédiatement pénible et ne donne pas envie de s'attacher aux personnages.
Certains ont évoqué les premiers films de Noémie Lvovsky (pour ce côté « borderline » des personnages) et même Pialat et Cassavetes. Et c'est là qu'il me semble urgent de réagir car je ne vois rien, dans la mise en scène de Triet, qui parvienne à transcender ce naturalisme poisseux. Des cinéastes cités, elle ne garde que quelques effets visibles : caméra à l'épaule, montage heurté, dialogues qui semblent improvisés... Mais la mise en scène, ce n'est pas ça. Prenons un exemple parmi cent autres : dans A bout de souffle, Godard fait mine de laisser ses acteurs improviser et on est séduit par la légèreté des dialogues, leur naturel. Sauf qu'il n'y a rien de naturaliste ici et que la mise en scène, systématiquement, parvient à contredire ce que les personnages disent ou font. Idem chez Pialat ou Cassavetes : la mise en scène excède le réalisme et ces cinéastes parviennent à faire surgir des personnages « ce qu'ils ont d'extraordinaire, d'anormal, d'excessif, d'aberrant » (Manchette). Ici, c'est le « néonaturel » qui prime et le caractère heurté de la mise en scène ne fait qu'illustrer platement ce que disent déjà des dialogues indigents et ce qu'expriment les personnages (ils sont hystériques donc on va faire des images syncopées, du montage heurté... pur pléonasme). On pense davantage à Maïwenn et à son abominable Polisse : une manière de se draper dans les oripeaux d'une certaine modernité pour nous resservir la soupe du quotidien mesquin (La bataille de Solférino n'est cependant pas nauséabond, idéologiquement parlant)
Il faut voir, par exemple, ces interminables séquences de la fin où les personnages se retrouvent dans l'appartement de Laetitia et où rien n'advient sinon une agitation factice. Tout le projet de Justine Triet s'effondre dans cet océan de vide. Même Macaigne, qui est un acteur que j'ai beaucoup aimé chez Guillaume Brac, Antonin Peretjatko ou dans son très beau Ce qu'il restera de nous me paraît incarner ici une caricature de bobo parisien déjanté sans véritable consistance. Seule Laetitia Dosch parvient, parfois, à faire passer une émotion moins trafiquée, plus sincère.
Encore une fois, il ne suffit pas de prendre une caméra à l'épaule et filmer un événement (plus médiatique qu'historique, entre parenthèses) pour, soudain, prendre le pouls de la société française. Ne reste alors qu'un petit film naturaliste de plus, caricature d'un certain cinéma d'auteur que je trouve, pour ma part, sans le moindre intérêt...