Science et vampirisme
Le sang du vampire (1958) d’Henry Cass avec Donald Wolfit, Barbara Shelley (Editions Artus Films) Sortie le 4 juin.
Des trois films proposés par Artus dans le cadre de la collection « British horror », Le sang du vampire est sans doute le plus classique. Aujourd’hui beaucoup moins connu que les films estampillés Hammer (Le cauchemar de Dracula, Frankenstein s’est échappé…), il bénéficia à l’époque d’une immense ferveur chez les amateurs de fantastique, comme le prouve le témoignage vibrant de l’incontournable Alain Petit (en bonus, sur la galette) ou encore les pages enflammées que lui consacre Jean-Pierre Bouyxou dans La science-fiction au cinéma.
Dans la mesure où mon sentiment est sans doute comparable, on imagine un peu ce que put être la réaction des spectateurs qui parvenaient enfin à voir les films « invisibles » loués jadis avec lyrisme par Jean Boullet : un mélange de satisfaction (« ça y est, je l’ai vu ! ») et de déception (« ce n’est que ça ? Où sont toutes les horreurs promises ? »)
Sur le papier, Le sang du vampire à tout pour plaire. Même s’il n’a pas été produit par la Hammer qui débute à la même époque son grand cycle de dépoussiérage des classiques du fantastique, on trouve à son générique les noms de Robert S. Baker et Monty Berman. Il se trouve que ces deux producteurs ont eux-aussi donné ses lettres de noblesse au gothique anglais en finançant le chef-d’œuvre de John Gilling (L’impasse aux violences) et en réalisant un fameux Jack l’éventreur.
De plus, le film bénéficie de l’apport indéniable du grand scénariste Jimmy Sangster qui contribua aux plus grands succès de Terence Fisher (Le cauchemar de Dracula, Dracula prince des ténèbres, La revanche de Frankenstein…). Notons cependant que dans l’entretien recueilli dans La science-fiction au cinéma, Sangster avoue qu’il n’a plus aucun souvenir de sa contribution au Sang du vampire !
Sur l’écran, le cahier des charges est respecté : décors victoriens, atmosphère lourde et morbide d’un vieux château transformé à la fois en laboratoire et en prison (c’est plus simple pour avoir des cobayes sous la main !) par le docteur Callistratus (Donald Wolfit), personnages inquiétants (Carl, le serviteur borgne du docteur) et crimes sanglants (avouons cependant que les torrents d’hémoglobine promis paraissent bien timides aujourd’hui).
La photographie est très belle (bravo aux éditeurs de ce DVD qui présentent une copie tout à fait acceptable même si certaines courtes scènes sont en couleurs un peu délavées) et ce qui séduit le plus dans le film de Henry Cass (cinéaste plutôt méconnu), c’est le mélange qu’il opère entre plusieurs mythes du fantastique.
Le prologue nous met tout de suite dans le bain : l’action se déroule en Transylvanie au 19ème siècle et l’on assiste à la mort d’un vampire, exécuté avec un pieu dans le cœur. Mais au lieu de se diriger, comme on le croit d’abord, vers une sorte d’avatar des aventures de Dracula, Cass préfère un récit de « médecine fiction » où un savant fou (Callistratus) utilise des cobayes humains pour pratiquer des expériences sur les transfusions sanguines. Le film lorgne plus alors vers le mythe du scientifique voulant rivaliser avec Dieu et tenter de recréer la vie. Que le docteur soit épaulé par un serviteur inquiétant au visage défiguré renvoie évidemment à la saga des Frankenstein.
Ce décorum gothique fonctionne plutôt bien d’autant plus que Donald Wolfit en rajoute et accentue sa ressemblance avec Bela Lugosi tandis que le cinéphile déviant apprécie de retrouver dans le rôle de l’épouse dévouée du gentil docteur kidnappé par Callistratus la belle Barbara Shelley, pilier de la Hammer (on l’a déjà vue chez Fisher, en gorgone dans The Gorgon ou dans Dracula, prince des ténèbres).
Cependant, il faut également concéder que Le sang du vampire a un peu vieilli. La mise en scène est un peu raide et mollassonne et les excès attendus (érotisme et violence) ne sont pas au rendez-vous. Du coup, l’œuvre paraît presque sage, poussiéreuse et un peu décevante.
Si on peut lui préférer L’impasse aux violences ou les chefs-d’œuvre de Terence Fisher, elle reste néanmoins un jalon non négligeable du cinéma horrifique anglais et une étape importante pour une certaine cinéphilie marginale qui s’est fédérée autour d’un genre jusque là méprisé : le fantastique.