Showgirls
Tournée (2010) de et avec Mathieu Amalric et Miranda Colclasure, Suzanne Ramsey, Linda Marraccini
Que mes détracteurs ne se réjouissent pas trop vite : je n’ai pas encore mis la clé sous le paillasson et me revoilà frais et pimpant. Ces derniers temps, j’ai été très occupé à découvrir les films de Wakamatsu (si vous avez l’occasion, ne manquez sous aucun prétexte L’extase des anges : c’est un film hallucinant) et la « fête du cinéma » m’a tenu éloigné des salles obscures dans la mesure où je ne goûte guère aux joies de la promiscuité bruyante !
Entre Pascal Rabaté et Sylvain Chomet, mon choix s’est porté sur le quatrième long-métrage de Mathieu Amalric même si j’avoue y avoir été à reculons malgré (à cause de ?) l’excellent accueil critique qu’a reçu Tournée. J’aime plutôt bien Mathieu Amalric comme comédien mais on frise toujours avec lui un certain cinéma d’auteur « branché » et décalé qui a de plus en plus tendance à m’exaspérer (Cf. L’horribleHistoire de Richard O de Damien Odoul). D’autre part, son Stade de Wimbledon m’avait copieusement ennuyé et je ne garde de ce deuxième film que le vague souvenir d’un puissant somnifère.
Eh bien disons le tout net : Tournée est une excellente surprise et un film roboratif comme j’en ai peu vu depuis ce début d’année. D’abord le sujet : Joachim, un producteur de télé visiblement « grillé » à Paris, revient des Etats-Unis avec une troupe de filles avec qui il a monté un spectacle de « New Burlesque » qu’il va faire tourner en province avant de tenter un retour triomphal à Paris.
Amalric nous plonge dans l’univers de ce music-hall aussi désuet qu’attachant. Ses filles ne sont plus de prime jeunesse mais elles dégagent une énergie et une joie de vivre, de jouer, de se déshabiller sur scène qui est totalement communicative. Elles perpétuent d’une certaine manière l’héritage de ces grandes dames d’antan que furent Eve Meyer, Blaze Starr, Candy Barr, Lily St-Cyr et beaucoup d’autres.
On voit d’ailleurs se profiler l’écueil auquel aurait pu se heurter le cinéaste : profiter de ce cirque un poil ringard pour se livrer à une satire mesquine de cet univers des troupes de province vivotant d’hôtels impersonnels en spectacles de patronage. Or il est évident que Tournée est absolument l’inverse de cette vision (ce n’est pas Les grands ducs de Leconte !) même s’il n’exalte pas non plus, comme cela aurait pu être le cas, « l’authenticité » et la fraîcheur de la troupe par opposition au snobisme parisien et à la médiocrité des shows télévisés totalement formatés et insipides (Amalric se permet juste quelques piques assez drôles contre ces ridicules pantins végétant aux portes du show-business).
Je n’ai pas lu beaucoup de critiques à propos du film mais les quelques unes que j’ai pu apercevoir n’ont pas hésité à aligner les références. Ferrara, Aldrich pour l’ami Joachim ou encore Cassavetes, Fellini, Rozier, Godard pour Télérama. Pour ma part, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, je me demande si Amalric ne se pose pas ici en héritier de Jacques Demy (car il ne suffit pas de faire chanter les personnages d’un film pour faire du Demy ! Comprenne qui pourra).
Partons de la scène que tout le monde a commentée, cette merveilleuse rencontre entre Joachim (interprété par Amalric lui-même) et une petite caissière dans une station-service d’une quelconque autoroute (la merveilleuse Aurélia Petit). Il s’agit d’une simple scène de séduction qui s’avère vite touchée par la grâce. Pourquoi ? Parce que le spectateur devine très vite qu’elle sera sans suite et qu’il entrevoit également l’infini des possibilités qu’aurait pu entraîner cette rencontre. On retrouve à la fois le vrai sujet de Tournée (toutes ces occasions dans la vie qu’on a manqué par lâcheté, par peur, par manque d’audace ou tout simplement par manque de chance) et celui qui irrigue le cinéma de Demy : peut-on « rattraper » son passé et s’offrir une « deuxième » chance malgré le temps qui passe et qui emporte avec lui toutes nos illusions.
Sur cette aire d’autoroute, Joachim est peut-être en train de laisser filer une grande histoire d’amour comme il a laissé passer sa chance d’être un bon mari, un vrai père et un « artiste » reconnu.
Tournée apparaît comme le film d’un homme à la charnière de sa vie qui s’interroge sur sa vie et ses échecs. Mais au lieu de se morfondre dans le ressassement, il fonce droit devant lui avec sa troupe et espère « reconquérir » Paris. Là encore, il y a quelque chose du cinéma de Demy dans l’œuvre : à la fois un côté terriblement mélancolique et sans illusions ; de l’autre, une énergie qui est à la fois celle du « show must go on » et une volonté de croire malgré tout dans le spectacle et le « bigger than life ». Ces filles permettent à Joachim de retrouver une famille et à Amalric de réconcilier ses ambitions d’ « auteur » avec le vrai « terreau » populaire du cinéma (comme Demy qui puisait dans le mélodrame et la comédie musicale les ficelles lui permettant d’inventer son propre langage, à la fois sophistiqué et populaire).
L’aventure de Tournée, c’est l’aventure du film : la primauté du collectif sur les ambitions d’un seul, une énergie décomplexée (le cinéaste filme extrêmement bien les corps de ses danseuses, ni dans le registre de l’épate bourgeois, ni dans celui de la pruderie ostensible) et une volonté de retrouver une véritable « langue » populaire : le music-hall, le mélange français/anglais, la province…
Il faudrait encore louer l’extraordinaire abattage de toutes ces « showgirls » magnifiques, la réussite du mélange des tons du film (beaucoup d’humour allié à une profonde mélancolie) mais je m’arrête là, non sans vous avoir conseillé une fois de ne pas rater cette Tournée.