Pater (2011) de et avec Alain Cavalier et Vincent Lindon

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Alain Cavalier est décidément un cinéaste surprenant. On sait qu’il a pris le maquis depuis de nombreuses années et qu’il ne tourne désormais qu’avec des petites caméras, loin des circuits traditionnels de production. Avec des films comme Le filmeur ou le magnifique Irène, il s’est rapproché des cinéastes (Morder, Courant…) qui tournent comme ils écriraient leurs journaux intimes.

Pater s’inscrit dans le même type « d’économie » (tournage en vidéo, équipe réduite au strict minimum…) mais Cavalier travaille cette fois avec un acteur célèbre (ce qui ne lui était plus arrivé depuis… 1980 lorsqu’il avait engagé Jean Rochefort pour Un étrange voyage) et il tente de mener à terme une espèce de « fiction politique ».

 

Tout le monde connaît désormais l’argument principal du film : Alain Cavalier rencontre Vincent Lindon et travaille avec lui sur un projet où le cinéaste incarnerait le président de la République tandis que le comédien endosserait le rôle de son premier ministre.

Ecartons d’emblée l’aspect qui me semble le moins intéressant de Pater : celui de la « fable politique ». Certains critiques se sont esbaudis devant ce qu’ils considèrent comme une grande réflexion sur le pouvoir et l’exercice de la politique. Il faut savoir raison garder : mise à part l’idée de plafonner les hauts salaires (pourquoi ne pas imaginer un « salaire maximum » comme il existe un SMIC ?) et de retirer la légion d’honneur à ceux qui quittent le territoire pour échapper aux impôts, le film ne me semble pas pénétrer en profondeur dans les méandres de la cuisine politique. Ce n’est d’ailleurs pas un reproche car il ne me semble pas que les enjeux de Pater se situent de ce côté.

Ce qui intéresse Cavalier, c’est d’interroger les mécanismes de la fiction. Et ce qui passionne dans Pater, c’est sa forme incroyablement hybride. Le film débute véritablement comme un pari : un cinéaste et un acteur qui se retrouvent autour d’une table et qui évoquent la possibilité de travailler ensemble autour d’un même projet.

C’est d’abord de « cuisine cinématographique » dont il est question : réunion de travail avec Lindon, évocation des problèmes « d’intendance » (combien coûte le costume du président, par exemple)… Puis on bascule soudainement du côté du jeu, presque au sens enfantin du terme : « Toi tu es le premier ministre et moi je suis le Président ».

Sur la base de ce postulat simple comme bonjour, Cavalier creuse le sillon d’une fiction totalement inédite puisque le dispositif d’un récit qui restera jusqu’au bout charpenté (la relation entre ce président et son premier ministre fait l’objet d’une véritable progression dramaturgique) est sans cesse court-circuité par une mise en scène qui s’apparente à un véritable work in progress. Sur le fil de cette fiction se greffent des passages documentaires, réflexifs ou tout simplement des petites bribes de vie prises sur le vif du tournage.

 

Là où le dispositif de Pater se révèle diaboliquement séduisant, c’est que Cavalier prend un malin plaisir (non seulement c’est un excellent acteur mais il a une façon de dire les choses, avec son timbre de voix si particulier, qui envoûte immédiatement) à brouiller sans arrêt les pistes. D’un plan à l’autre, Vincent Lindon peut être comédien en train de réfléchir à son rôle ou dans la peau du premier ministre idéaliste. Et ce qui constitue la personnalité (généreuse, impulsive…) du comédien contamine le personnage qu’il incarne et vice-versa (à un moment donné, Lindon s’étonne de véritablement se prendre pour un homme politique et se demande sérieusement pourquoi on ne lui demande pas son avis sur les grands débats nationaux).

Ce jeu de va-et-vient est passionnant lorsque Cavalier intègre des passages « documentaires » dans son film, comme ces moments où un jeune sportif explique à Lindon pourquoi tout le monde se dope dans le milieu du sport ou cette magnifique séquence où le comédien rend visite à un artisan boulanger qui travaille seul avec sa mère. 

Dans la mesure où le jeune homme qui évoque son passé de basketteur se retrouve ensuite dans l’entourage du premier ministre, on peut encore se demander si on a assisté à un véritable témoignage ou à une mise en scène.

Pour Cavalier, dès qu’il y a un regard posé sur les choses (que ce soit un dialogue au sommet de l’Etat ou un chaton qui rentre dans la maison), il y a du cinéma. C’est moins la politique qui l’intéresse que cette manière dont naît la fiction et le flou qui enrobe cette frontière entre documentaire et fiction.

 

Le côté ludique de la construction de ce récit (parfois un peu laborieux : je me demande si le film n’aurait pas été encore plus fort avec 20 minutes de moins) fait également le charme de Pater. Ce qui importe avant tout, c’est la croyance. Alain Cavalier se moque éperdument de la crédibilité de son récit et même de la façon dont il est « incarné » (on ne compte pas le nombre de scènes interrompues par les fous rires des comédiens). Ce qui l’intéresse, c’est cette notion de croyance : endosser une défroque, se mettre dans la peau d’un personnage et y croire (tout comme la croyance dans le cinéma permettait à Cavalier de faire revenir des fantômes dans Irène).

 

Du coup, ce film qui frise l’amateurisme (le cadre est parfois fort incertain, notamment lorsque Cavalier laisse quelqu’un d’autre faire l’image) devient un très bel hymne à la croyance et à la puissance de la fiction qui passe ici avant tout par la parole.

Parole d’un metteur en scène à son acteur (notons entre parenthèse que Lindon est excellent et que Cavalier le révèle aussi comme quelqu’un de très sympathique), d’un président à son premier ministre, d’un « père » à son « fils ». Car le véritable sujet de Pater, comme son titre l’indique, c’est celui de la filiation. Il y a dans quelques scènes que je ne révèlerai pas (il me semble que ce sont les plus belles du film) des allusions au père d’Alain Cavalier qui s’avèrent très émouvantes.

 

Avec ce film, le facétieux cinéaste se penche sur les « trahisons » des fils pour lui permettre d’apprendre à comprendre et à aimer son père. Puis à le devenir à son tour…  

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