Spectres dans la brume
The fog (1980) de John Carpenter avec Jamie Lee Curtis, Janet Leigh, Adrienne Barbeau
Même s'ils s'inscrivent clairement dans le genre fantastico-horrifique, les premiers films de John Carpenter sont avant tout des westerns. Ils reprennent tous, plus ou moins, la trame de Rio Bravo et mettent en scène un groupe d'individus reclus et confrontés à un danger venant de l’extérieur. Assaut était un quasi remake du chef-d’œuvre de Hawks et montrait le siège d'un commissariat par des gangs de voyous impitoyables. Dans Halloween, la menace s'élargissait à une ville entière sous la menace d'un tueur psychopathe. Avec The Fog, son quatrième long-métrage, Carpenter reprend le même principe et confronte une petite communauté urbaine à des spectres revenus se venger cent ans après un drame présidant à l'édification de la ville.
Outre cette trame classique, Carpenter emprunte au western un sens indéniable de la topographie (le phare, l'église, la maison de l'animatrice radio) et une économie de moyens directement venue de la grande série B. Contrairement à Romero et ses morts-vivants (que j'aime énormément également), The Fog se caractérisera par l'absence quasi-totale d'hémoglobine et par la volonté du cinéaste de privilégier la suggestion aux scènes horrifiques. Même si certains effets pourront paraître un peu « faciles » (les spectres qui surgissent soudainement pour faire sursauter le spectateur émotif), on pourra constater que le cinéaste privilégie avant tout l'atmosphère (ces plans larges de paysages soudainement recouverts par des nappes de brouillard sont superbes) et qu'il parvient à créer un climat oppressant en jouant sur divers éléments : le montage parallèle, la construction des plans (ce moment merveilleux où le spectre vient frapper à la porte du couple que forment Jamie Lee Curtis et son « chauffeur »), la musique, les éléments de décor... Sans esbroufe (un crochet qui frappe de manière lancinante, une ombre qui se dessine derrière une porte...), Carpenter parvient à faire sourdre l'angoisse et à nous terroriser. Le cinéaste s'inscrit dans la grande tradition des séries B horrifiques à la Jacques Tourneur (toutes proportions gardées!) et sait parfaitement que jouer sur les ombres portées et le hors-champ est beaucoup plus efficace en terme dramatique que de tout montrer frontalement.
The fog est donc une bonne petite série B. Ce n'est sans doute pas le meilleur film de Carpenter parce qu'il souffre parfois de quelques problèmes de rythme. Et surtout, le cinéaste n'est pas encore très doué (il le deviendra un peu plus par la suite) pour donner de l'épaisseur à ses personnages. Le principal défaut de l’œuvre vient de là : la grande fadeur de ses « héros ». Jamie Lee Curtis et Tom Atkins forment un couple de jeunes premiers sans le moindre intérêt et nous sommes même surpris de les retrouver ensemble dans un lit après avoir échappé à un accident de la route ! Janet Leigh incarne une dame patronnesse de la ville mais son rôle est trop limité pour intéresser. Seule Adrienne Barbeau, vigie solitaire s'adressant à la communauté depuis son phare, traumatisée à l'idée qu'on puisse faire du mal à son fils, tire un peu son épingle du jeu.
Du coup, les drames que subissent tous ces braves gens nous intéressent un peu moins dans la mesure où l'on a un peu de peine à s'identifier à eux ; Carpenter se contentant de les filmer comme de la potentielle chair à saucisses.
Ceci dit, la qualité de la mise en scène et la sécheresse d'exécution de ce film dépouillé nous font passer un bon moment. La séquence finale dans l'église annonce Prince des ténèbres, l'un des meilleurs films du cinéaste et l'on entrevoit déjà le rapport très particulier au Mal qu'entretient Carpenter. Un rapport ambigu, « politique » (le Mal ne vient pas forcément de l'extérieur mais c'est l'Amérique WASP et bien-pensante qui la porte en elle) et, pour tout dire, passionnant.
Avec ses qualités (indéniables) et ses défauts (difficilement réfutables), The fog témoigne d'ores et déjà d'un style singulier et porte en lui la puissance d'une œuvre en devenir...