Alain Resnais (2013) de Jean-Luc Douin (Éditions de la Martinière. 2013)

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En consacrant un nouveau livre à Alain Resnais, Jean-Luc Douin (auteur d'une biographie sur Gérard Lebovici, de plusieurs ouvrages sur la censure au cinéma et sur Godard) s'exposait à de nombreuses difficultés. La première, et pas des moindres, est de passer après de nombreux historiens du cinéma, notamment Robert Benayoun (Alain Resnais, arpenteur de l'imaginaire) , Marcel Oms (Alain Resnais dans la belle collection cinéma de Rivages) ou encore Suzanne Liandrat-Guigues et Jean-Louis Leutrat pour Alain Resnais : liaisons secrètes, accords vagabonds.

Deuxième difficulté : l'ouvrage paraissant aux éditions de la Martinière, on peut supposer que Douin a dû se plier aux règles du « beau livre » et se limiter à une approche généraliste de l’œuvre du cinéaste.

Or s'il faut absolument tordre le cou au cliché du réalisateur cérébral et abscons, les films de Resnais sont d'une telle richesse, d'une telle subtilité, d'une telle profondeur que le cadre imparti a sans doute constitué une réelle contrainte.

 

Disons le d'emblée, Jean-Luc Douin a presque parfaitement tenu son pari et même si je me permettrai d'émettre quelques réserves ça et là, son Alain Resnais mérite assurément le détour.

En tant que « beau livre », l'ouvrage est une parfaite réussite. L'iconographie est riche et l'essai regorge de photographies magnifiques, de splendides reproductions des affiches de chaque œuvre en pleine page, de documents rares ou inédits absolument fascinants (les plans de travail de la scripte Sylvette Baudrot, les plans et maquettes des décors de Jacques Saulnier, les dessins de Floc'h...). Le livre est un vrai régal pour les yeux et ne serait-ce que pour cette fabuleuse documentation qu'il nous offre (une grande partie de cette iconographie provient de la Cinémathèque française), il mérite une place dans toutes les bibliothèques qui se respectent.

 

Pour ce qui est de la « vulgarisation » (au sens noble du terme) du cinéma d'Alain Resnais, le livre est également une réussite. Jean-Luc Douin sait à la fois se mettre à la portée de tous sans pour autant omettre la dimension analytique nécessaire dans un essai sur un cinéaste comme Resnais. Il parvient ici à circonscrire de manière intelligente les enjeux (narratifs, thématiques...) des films en mêlant des entretiens (une longue conversation passionnante avec Resnais), des commentaires pour chaque film et une sorte de petit lexique où il s'attarde sur les « thèmes » chers au cinéaste (Paris, le passé, la femme, le cerveau...).

 

Excellent ouvrage généraliste, le livre n'apprendra sans doute pas grand chose aux fins connaisseurs de l’œuvre de Resnais. Outre une petite erreur bénigne (Sabine Azéma a tourné davantage avec Resnais que Pierre Arditi, contrairement à ce que Douin affirme), la seule petite réserve que l'on peut avancer tient peut-être à cette généralisation parfois un peu frustrante. Car si les analyses des trois premiers films de Douin tiennent vraiment bien la route et sont relativement touffues ; on est surpris, en revanche, de voir qu'à partir de La guerre est finie, les analyses des films sont beaucoup plus succinctes. Du coup, on se sent un peu frustré car on aurait aimé des commentaires un peu plus approfondis sur Smoking/no smoking ou le sublime Cœurs, par exemple. Il semble évident que le critique n'a pas eu la place pour développer davantage son analyse de la filmographie du maître. Il aurait fallu un ouvrage plus épais et l'on n'ose imaginer alors son prix ! Si l'entreprise de vulgarisation me paraît excellente, on regrette parfois de survoler quelques titres qui auraient sans doute mérité qu'on s'y attarde plus. De la même manière, Douin nous propose quelques entretiens avec les proches de Resnais en guise de conclusion. Si les conversations avec Sabine Azéma ou Agnès Varda sont riches et passionnantes, on regrettera que l'auteur se contente de reproduire des extraits d'interviews piochés dans des bonus de DVD lorsqu'il s'agit de Pierre Arditi, André Dussollier ou Claude Rich.

 

Malgré ces quelques réserves que l'on peut difficilement imputer à l'auteur et qui tiennent surtout à la nature du projet, Alain Resnais est à la fois un objet magnifique et un ouvrage essentiel pour ceux qui veulent se familiariser avec l’œuvre unique d'un des plus grands cinéastes de tous les temps.

 

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