Panique sur Florida Beach (1993) de Joe Dante avec John Goodman

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Lundi dernier, Jean Douchet est venu nous présenter Panique sur Florida Beach de Joe Dante, film assez méconnu de ce cinéaste dont on n'a plus beaucoup de nouvelles. Le dernier film que nous avons pu voir de lui remonte désormais à dix ans (le médiocre Les Looney Tunes passent à l'action) et son dernier opus, The hole, n'a eu droit qu'à une sortie directe en DVD. Bonne initiative donc, de la part de la Cinémathèque de Bourgogne, de mettre l'accent sur ce cinéaste singulier.

Une fois n'est pas coutume, je partirai de l'intervention de Douchet pour appuyer mon analyse car il me semble que le grand critique a parfois fait fausse route en le présentant (mon aimable lectorat me pardonnera cet excès d'arrogance qui me pousse aujourd'hui a contredire l'auguste exégète !).

 

Ce que je reproche à Douchet, c'est de n'avoir abordé le film que sous l'angle de la critique du mode de vie américain. Cette approche peut se défendre lorsqu'on aborde l'œuvre de Dante en général. On sait que le turbulent réalisateur a été lancé par Roger Corman qui lui fit tourner Piranhas, série B satirique qui démarquait malicieusement Les dents de la mer de Spielberg. C'est d'ailleurs ce dernier qui prendra ensuite le cinéaste sous son aile en produisant son plus grand succès à ce jour : l'excellent Les Gremlins. Tout Joe Dante est contenu dans ce film jouant sur la double personnalité d'une peluche adorable (un Mogwaï) qui donne naissance à d'agressifs Gremlins lorsqu'on lui renverse de l'eau dessus. Dante possède ce double visage d'âme damnée de Spielberg : dans tous les films où il semble s'inscrire dans la lignée de son mentor en signant « blockbusters » et « teen-movies » sirupeux (Explorers, L'aventure intérieure, Small Soldiers...) on retrouve subrepticement sa patte satirique et mal-élevée.

Panique sur Florida Beach possède indubitablement cette dimension parodique lorsqu'il s'agit de reconstituer le quotidien d'une petite ville américaine au moment de la Guerre Froide et d'une menace de guerre nucléaire de plus en plus prégnante (les missiles que l'URSS menace alors d'installer à Cuba). Dante filme ses personnages comme dans une sitcom rétro et s'amuse beaucoup de la paranoïa américaine qui pousse certains à construire des abris antinucléaires et d'autres à des exercices d'évacuation particulièrement grotesques. Mais lorsque le cinéaste prend le temps de filmer des parents « progressistes » (leur fille les appelle par leurs prénoms et elle fait ce qu'elle veut), on ne peut pas dire qu'il les épargne non plus et ils s'avèrent finalement aussi ridicules.

 

La dimension « critique » me semble donc très secondaire par rapport à l'hommage que Dante rend au cinéma qu'il a aimé. Comme Tim Burton ou John Landis, le cinéaste est d'abord un cinéphile qui a ingurgité une quantité invraisemblable de série B ou Z (à l'instar du héros de la série Dream on de Landis qui ne peut pas être confronté à une seule situation de sa vie quotidienne sans être assailli par des visions en noir et blanc de films vus à la télévision) et qui a baigné dans une culture « pop » (le magazine Mad que l'on aperçoit dans la chambre du jeune héros Gene). Cette culture, il ne la renie pas et, au contraire, lui rend un vibrant hommage.

Jean Douchet a prétendu que le personnage de cinéaste « bis » roublard incarné de manière savoureuse par John Goodman était pour Dante une manière de faire une critique du mercantilisme et de l'infantilisation par le cinéma. Je pense que c'est rigoureusement le contraire.

Lawrence Woolsey (c'est le nom du cinéaste) est avant tout un portrait à peine masqué de William Castle (réalisateur de séries B et Z dont il ne fut jamais question pendant le débat) qui fut baptisé à l'époque le « roi de l'horreur » et qui reste dans l'histoire du cinéma comme l'inventeur de procédés forains destinés à terroriser les foules. Alors qu'Hitchcock 1 interdisait aux spectateurs de sortir des salles au début de Psychose, Castle proposera, dans Mr Sardonicus, aux spectateurs de voter pour le dénouement du film tout en lui offrant également une minute pour quitter la salle et éviter ainsi les derniers instants d'une l'œuvre jugée trop insoutenable ! Pendant la projection de La nuit de tous les mystères, il fait traverser la salle par un véritable squelette, attraction qu'il arrêtera rapidement lorsqu'il constata que le public se déchaînait sur ledit squelette avec toute sorte de projectiles. Dans The Tingler, ce sont les sièges de la salle qui bougent à des moments précis. Toutes ces anecdotes, Dante les reproduit dans Panique sur Florida Beach, avec une certaine ironie mais surtout beaucoup de nostalgie.

De la même manière, Douchet commet, à mon avis, un contresens total lorsqu'il prétend que le film de Woolsey renvoie à La mouche... de Cronenberg ! Le film du maître canadien n'a rien d'une série B et le Mant ! imaginaire renvoie d'abord à la première version de The fly (La mouche noire de Kurt Neumann) et à Them (Les monstres attaquent la ville) de Gordon Douglas.

 

Toutes ces séries B ont nourri l'adolescence de Dante et, à travers le personnage de Gene, c'est cette période qu'il cherche à retrouver. Woolsey est bien évidemment un bateleur roublard mais c'est avant tout, comme lui dit d'ailleurs le personnage, un véritable enfant. Et lorsque Gene confie que Vincent Price et d'autres comédiens de cet acabit2 étaient pour lui davantage des amis que des comédiens, on songe alors comment l'héritage de ce cinéma « bis » a aussi pu inspirer et constituer la personnalité de quelqu'un comme Tim Burton (Edward aux mains d'argent ou, évidemment, Ed Wood).

 

La beauté de Panique sur Florida Beach, c'est justement de montrer comment ce cinéma d'horreur désuet a pu, à cette époque, être à la fois le réceptacle (Cf. la SF des années 50 hantée par le péril communiste) et l'exutoire de peurs bien réelles (il ne faut pas oublier qu'à l'époque, le monde n'a jamais été aussi prêt de connaître une guerre nucléaire). Dante filme extrêmement bien la salle de cinéma comme lieu de catharsis collective et c'est avec une certaine mélancolie qu'il laisse entrevoir les changements qui se profilent à l'horizon (les belles salles à l'ancienne avec balcons vont être bientôt remplacer par les multisalles incommodes). S'il parvient à faire une critique à la fois acerbe de la folie du monde et de la paranoïa américaine, il le fait à travers des images de cinéma qui resteront, pour lui, indélébiles.

 

Au bout du compte, et davantage que sa dimension critique, c'est le côté assez mélancolique de cette balade autobiographique qui frappe le spectateur et ce lien indéfectible qui attache Joe Dante au cinéma de son enfance...

 

 

 


William Castle dans ses oeuvres  

 

 

1 A noter que Castle s'amusait comme Hitchcock à faire des apparitions dans chacun de ses films et qu'il s'adressait volontiers aux spectateurs des salles, un gros cigare à la bouche...

2 "On notera au générique la présence du comédien Dick Miller, habitué des tournages de Roger Corman

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