Sidewalk stories (1989) de et avec Charles Lane (Sortie en DVD le 8 octobre 2014. Editions Carlotta)

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Lorsqu'est sorti The artist de Michel Hazanavicius, on a un peu trop vite oublié que l'exercice qui consiste à réaliser un film muet de nos jours n'était pas aussi rare que l'on a bien voulu le dire. Sans même parler des cinéastes les plus expérimentaux qui sont souvent revenus aux origines du cinéma (Warhol, Courant, Garrel...), il y eut la comédie de Mel Brooks Silent movie (La dernière folie de Mel Brooks) où le seul mot dit (« non ») était prononcé par...le mime Marceau ! ou, plus récemment, le beau film d'Aki Kaurismaki Juha.

En 1989, l'acteur et réalisateur Charles Lane met en scène son premier long-métrage, Sidewalk stories, et décide de revenir au muet.

Il incarne lui-même un pauvre hère qui dessine sur les trottoirs de New-York. Pas vraiment vagabond comme Chaplin mais presque. Un soir, il assiste à l'assassinat d'un homme au détour d'une rue sombre et « adopte » la fillette qui se trouvait alors avec la victime. Son but va désormais être de retrouver la mère de l'enfant.

 

Avec ce film, Charles Lane s'inspire bien évidemment de l’œuvre de Chaplin, en particulier de The kid. Comme son modèle, il tente un cocktail entre le rire et les larmes sans y parvenir totalement.

Cette réserve posée, Sidewalk stories s'avère être un joli film, assez passionnant par certains aspects.

Ce qui fonctionne le mieux, c'est ce personnage de marginal que compose Charles Lane. Pour pouvoir exister à l'écran sans la parole, il faut un véritable talent et renouer avec le langage du corps des burlesques. Alors qu'il a un regard très expressif et qu'il pourrait jouer facilement de la mimique, Lane filme la plupart du temps en plans larges et se débrouille d'abord avec son corps : qu'il butte contre un voisin de trottoir plus grand (scène qui joue sur la répétition de la chute comme au temps des burlesques primitifs) ou qu'il manque de se faire étrangler par sa petite compagne qu'il garde auprès de lui en s'attachant une corde...autour du cou !

Ce corps burlesque, il le plonge dans la réalité new-yorkaise de la fin des années 80. Le film débute du côté de Wall Street, par des plans d'hommes d'affaires pressés prêts à tuer pour pouvoir entrer le premier dans un taxi. Face à cette agitation stérile, Lane filme ensuite le temps d'un long et beau travelling, toute une petite communauté de marginaux vivants sur le trottoir : jongleurs, peintres de rue, clochards, etc. Paradoxalement, le côté très artificiel du dispositif (noir et blanc, muet...) accentue l'effet « réaliste » de cette vision d'un New-York défavorisé.

 

Autre qualité : la sobriété du film. Avec un sujet pareil, Lane aurait pu facilement verser dans le pathos et réaliser un abominable tire-larmes. Or il ne cherche pas l'émotion facile (une petite fille abandonnée pourrait pourtant prêter à ce type d'épanchement) et il ne sombre jamais dans le misérabilisme. Si les conditions de vie décrites sont dures, la stylisation permet au cinéaste de s'éloigner de la complaisance naturaliste.

Même la traditionnelle histoire d'amour naissante entre le « vagabond » et la riche femme touchée par ce couple improbable est traitée de manière délicate.

 

Alors, me direz-vous, pourquoi des réserves puisque le film parvient à faire sourire en brossant toutefois un tableau dur de la réalité new-yorkaise et à émouvoir sans avoir recours aux grosses ficelles du mélodrame sirupeux ?

 

La limite de Sidewalk stories tient, malgré tout, à son dispositif que je trouve un peu artificiel. Si cette stylisation apporte une distance bienvenue quant aux thèmes abordés, elle nous éloigne aussi un peu des personnages. Il y a dans l’œuvre un côté « exercice de style » qui frise parfois une certaine application. On sent que Charles Lane connaît son Chaplin sur le bout des doigts et, du coup, cet hommage a parfois un côté un peu forcé. Qu'apporte, au fond, le muet dans la mesure où la mise en scène reste relativement classique et ne développe pas énormément le côté « visuel » du projet (ce n'est pas un reproche). ?

 

Cette limite posée, l’œuvre demeure singulière, touchante et mérite d'être redécouverte...

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