Le bruit des glaçons (2010) de Bertrand Blier avec Jean Dujardin, Albert Dupontel, Anne Alvaro, Myriam Boyer

 classe.jpg

Bon, ben voilà, ça y est, c’est fait. Les vacances sont terminées et me voilà de retour même si le fonctionnement de ce blog risque d’être sporadique dans la mesure où j’ai beaucoup de retard pour les chroniques DVD que je réserve à d’autres sites.

Pour reprendre en fanfare, rien de mieux qu’un petit Bertrand Blier même si celui-ci ne représente plus ce qu’il a été pour moi pendant longtemps (c’était mon cinéaste préféré à 18-20 ans).

Le début du Bruit des glaçons ne dépareille pas dans la longue liste des ouvertures tonitruantes des films du cinéaste : un homme (Albert Dupontel) marche d’un pas rapide sur une route de campagne déserte et va sonner à la porte d’un écrivain alcoolique (Jean Dujardin) pour lui annoncer qu’il est son cancer : «  Je pense que ça serait bien qu’on fasse un peu connaissance. ». 

Tout Blier est là : son art du dialogue percutant, ses envolées lyriques, ses ellipses foudroyantes, ses apartés vers le spectateur, son goût pour la déconstruction du récit… D’une image purement littéraire (un homme se trouve confronté à la maladie), il fait une idée de cinéma en personnifiant le cancer et en faisant de cet intrus un personnage de comédie (noire), collant aux basques d’un héros qui doit le supporter pendant qu’il picole ou qu’il fait l’amour avec une adorable jeune fille russe.

L’une des grandes réussites du film, c’est d’aborder un sujet ô combien douloureux en évitant à tout prix le naturalisme glauque (on sait que le « film de maladie » est l’un des exercices les plus périlleux qui soit si on ne s’appelle pas Bergman) et le pathos inhérent au genre. L’humeur du cinéaste paraît, globalement, plutôt sombre mais cela ne va pas sans certains éclats d’humour noir assez réjouissants. Quand à son style, même si on commence à s’y habituer depuis Buffet froid et Merci la vie, il permet de contourner les écueils du sujet et au cinéaste de dire des choses plutôt émouvantes sur la maladie, l’absurdité de la vie et la peur de la mort.

Dans Le bruit des glaçons, Blier semble mettre le frein sur la dérision à tout crin et à se laisser aller à la pure émotion du mélodrame, même s’il a tendance à couper au moment où il risque de se laisser submerger (« on frise le ridicule ! » hurle Dupontel). Pourquoi ce « ridicule » ? Parce que le cinéaste filme, à nouveau de manière littérale, ce précepte qui veut que l’amour peut, parfois, être plus fort que la mort. Banalités, me direz-vous, mais qu’il parvient à transcender en l’incarnant dans le personnage formidable de la bonne (interprétée par la merveilleuse Anne Alvaro). Louisa est la fille banale qu’on ne voit pas (une sorte de pendant à la Josiane Balasko de Trop belle pour toi) mais capable de tout donner par amour. Il y a quelque chose de très beau dans la manière dont Blier redéploie tout son récit à travers les yeux de ce personnage, la première qui détecte le cancer de Charles.

Louisa, c’est un peu la quintessence de la Femme selon Bertrand Blier (et que l’on retrouve dans les autres personnages féminins – l’ex-femme de Charles, la petite russe…) que les imbéciles ont toujours pris pour un misogyne. Elle est à la fois la Maman et la Putain (voir cette très belle scène, qui rappelle un peu Préparez vos mouchoirs,  où elle dépucelle le fils de l’écrivain) sans pour autant que ce stéréotype réussisse à la qualifier. Il y a chez les femmes de Blier une complexité qui dépasse les catégorisations hâtives (la prostituée russe est beaucoup plus « riche » que les apparences ne le laissent supposer) et contre laquelle se heurte ces idiots d’hommes. Pendant longtemps, ceux-ci se sont parés des atours d’une virilité fanfaronne (Les valseuses, Tenue de soirée…) mais aux portes de la mort, ils apparaissent soudain comme totalement démunis et en quête d’une main à tenir.

Cette tendresse et cette fragilité qui imbibent Le bruit des glaçons permettent au cinéaste de réaliser l’un de ses films les plus réussis depuis un bail (Trop belle pour toi ?).

Pour ma part, malgré le plaisir que j’y ai pris, je dois néanmoins formuler deux réserves.

La première concerne la mise en scène de Blier. D’un côté, on ne peut  nier son originalité (son sens des digressions, de l’insolite, d’un montage qui fracasse le réalisme…), de l’autre, on commence un peu à s’habituer (les « bons mots » dont fourmille le dialogue, les personnages qui commentent l’action…) et se dire que cette originalité reste, malgré tout, très « littéraire ». Si le récit est déconstruit, on reste parfois dans quelque chose d’assez théâtral (un théâtre de l’absurde, certes…) qui fait que certaines séquences apparaissent  un peu moins fortes.

La deuxième réserve m’a plus gêné : elle concerne l’interprétation de Jean Dujardin. En découvrant ce personnage d’écrivain brisé, alcoolique, mélange de force et de fragilité, je me suis immédiatement dit que c’était un rôle parfait pour Patrick Dewaere. Or Dujardin apparaît bien fade par rapport à l’interprète de Beau-Père. On ne sent aucune gourmandise chez lui à dire des dialogues pourtant fortement épicés (Dupontel est beaucoup plus à l’aise) et on se demande même parfois si l’acteur ne s’est pas uniquement concentré à rentrer son ventre! Je suis peut-être injuste mais ce manque absolu (pour moi !) de charisme de Dujardin fait que j’ai eu parfois du mal à être ému comme j’aurais pu l’être par quelqu’un comme Dewaere.


Ces réserves faites, le cinéma français nous offre trop peu d’œuvre originale et remuante comme Le bruit des glaçons pour que nous fassions la fine bouche : il est donc fortement conseillé d’aller y jeter un œil…

Retour à l'accueil