La France de Michel Audiard (2001) d’Alain Paucard (Xenia, 2007)

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A moins d’avoir des œillères ou d’être l’un de ces flics de la pensée (qu’on retrouve malheureusement aussi, et de plus en plus, à gauche) qui cherchent absolument à cataloguer les individus derrière les barreaux de catégories immuables ; tout le monde a pu constater un jour qu’il arrive souvent qu’on soit davantage séduit par ceux qui n’ont pas les mêmes opinions que les nôtres plutôt que par ceux qui les partagent. Pour prendre quelques exemples, j’ai beau ne pas être croyant (plus agnostique qu’athée militant, d’ailleurs), nul doute que je préfère la prose flamboyante d’un Léon Bloy ou d’un Bernanos aux cochonneries matérialistes d’un Zola. Je n’ai jamais manifesté le moindre intérêt pour les régimes monarchistes mais je n’échangerais en aucun cas les souvenirs et portraits parisiens de Léon Daudet contre les pensums « démocratiques » d’un Rousseau ou d’un Voltaire. Et même s’il effraie toujours quelques avocaillons et notre ministre de l’inculture, Céline aura toujours ma préférence face à des toupies staliniennes comme Sartre ou Aragon.

Pour revenir au domaine qui nous intéresse (le cinéma), je crois qu’il n’est pas possible d’imaginer goûts plus opposés aux miens que ceux d’Alain Paucard[1] qui déteste autant la Nouvelle Vague française que la modernité cinématographique sous toutes ses formes (Léone, Fellini, « Antoniennui » ou « Marguerite Durasoir » – nous sommes d’accord pour « la papesse gâteuse des caniveaux bouchés » (Desproges) !) alors qu’il loue un cinéma français des années 50 pour lequel je n’ai aucune attirance.

Et pourtant, je me souviens avoir dévoré toutes les notules rédigées par l’écrivain dans le médiocre Guide des films dirigé par Tulard en trouvant que c’était toujours les plus drôles et les plus percutantes de l’ouvrage. 

 

De ce court essai qu’il a consacré à Audiard (là encore, je dois confesser mon peu de goût pour le bonhomme : j’aime son écriture mais je trouve qu’il l’a offerte à des cinéastes médiocres), nous dirons volontiers à l’instar de Bernard Blier dans la plus célèbre des scènes des Tontons flingueurs que « c’est du brutal ». Mais une fois acceptée la première gorgée du « vitriol », on prend un vrai plaisir à savourer la prose pamphlétaire et drolatique d’Alain Paucard.

Un exemple pour vous mettre en bouche ?

« Question : qu’est-ce qu’Alfred Hitchcock, Stanley Kubrick et Orson Welles ont en commun avec François Truffaut ? Réponse : un sens de leur propre publicité inversement proportionnel à leur talent réel ». Et vlan !

Plus loin : « Ce qui a rendu Hitchcock célèbre n’est pas son talent, mais d’avoir été présentateur de 353 épisodes d’une série télévisée (dont il n’en réalisa que dix-huit !) pour laquelle il n’écrivit ni même ne signa le moindre scénario (…) ».

« Kubrick (…) loupe à peu près tout ce qu’il entreprend. » ou encore « Orson Welles a réussi au moins une chose dans sa vie : rendre Shakespeare ennuyeux. »

A ce stade du livre, Paucard a sans doute fâché 90% des cinéphiles (on le sent jubiler à cette idée) et il enfonce le clou :

Truffaut ? « Truffaut est de la race des Hitchcock, des Kubrick, des Welles, tout comme Sergio Leone est le Fellini du western (là encore, ce n’est pas un compliment…) ».

Godard ? Il « alterne d’incontestables fines analyses sur le rôle de l’image avec de non moins incontestables pensums qu’il présente comme des films ».

Rivette ? « a beaucoup de chance de pouvoir tourner des films à usage strictement personnel ».

Rohmer ? « un sous-Pagnol non dénué de talent ».

Tout cela pourrait être exaspérant et je me suis pourtant régalé. Parce qu’il est parfois plus rafraîchissant de lire des attaques en règle contre les artistes qu’on aime lorsqu’elles sont bien écrites et pleine d’humour que de lénifiantes exégèses universitaires qui font bâiller.

Paucard fait preuve d’une mauvaise foi sans limite mais cette mauvaise foi est réjouissante car elle vient d’un véritable amoureux du 7ème Art (par ailleurs, quelqu’un qui a écrit des ouvrages intitulés De la misogynie considéré comme un des Beaux Arts, Le cauchemar des vacances, Défense de la série B ou Eloge du cul ne peut pas être foncièrement mauvais !).

Cette mauvaise foi s’exprime surtout lorsque l’auteur prétend que seuls les films « populaires » restent et méritent l’attention (je caricature un peu). On pourrait discuter des heures autour de ce thème et de tous les artistes reconnus par la postérité alors qu’ils ont toujours été ignorés du « grand public » mais pour nous limiter au domaine du cinéma, constatons qu’à l’heure actuelle, quelqu’un comme Truffaut (qui fut un « cinéaste populaire » et non un « intellectuel ») me semble moins oublié que la majeure partie des œuvres écrites et/ou dialoguées par Audiard dont le nom reste surtout pour quelques titres emblématiques (les Lautner et quelques Verneuil).

 

Pour dresser le portrait du cinéaste/scénariste/dialoguiste/écrivain, Alain Paucard procède par entrées thématiques : le goût de Paris, l’influence de Céline, les bistrots, la haine de la foule et de la modernité, les femmes, le sport, etc. La réussite de l’essai tient dans cette manière qu’a l’auteur de faire sienne les obsessions d’Audiard et de nous livrer ainsi un réjouissant réquisitoire contre la modernité (« Le monde actuel du politiquement correct, c’est l’Union soviétique moins la terreur de masse : même promotion généralisée des médiocres, même flicaille idéologique (la Police de la pensée d’Orwell) ; même vérité officielle, dogmatique. »), la foule, l’intellectualisme, la  politicanaillerie… A l’inverse, il dresse aussi un touchant portrait d’Audiard en titi parisien amoureux de son territoire (le XIVème arrondissement), du peuple (mais non pas l’amour « abstrait » des idéologues qui le fantasment) et des bistrots.

De manière très fine, il relie également la figure d’Audiard à celle de son père chez qui il relève des similitudes et un même état d’esprit. De quel état d’esprit parlons-nous ? De celui d’un homme libre et volontiers individualiste incarnant, selon Paucard, une certaine image de la France d’autrefois et de son peuple.

Sans être forcément toujours d’accord avec lui ou même nostalgique de ce « bon vieux temps » ; force est d’admettre qu’Alain Paucard fait partie de la même lignée que ces hommes libres, spirituels et drôles… 

 

 


 

 

 



[1] Nous pourrions néanmoins nous entendre autour de quelques noms : Minnelli, Ford, De Palma, Guitry et Cinématon de Gérard Courant !

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