Traqué
Mickey one (1965) d'Arthur Penn avec Warren Beatty, Alexandra Stewart. (Editions Wild Side). Sortie le 5 février 2014
Le troisième film d'Arthur Penn est une œuvre atypique aux confluences de plusieurs influences. Je n'apprendrai rien à personne en rappelant que le cinéaste débuta sa carrière en 1958 avec Le gaucher et qu'il fit donc partie de cette génération « intermédiaire » entre le classicisme hollywoodien sur le déclin et le « nouvel Hollywood » qui explosera à partir de la seconde moitié des années 60.
Penn est un réalisateur intellectuel et engagé, désireux de rompre avec les conventions hollywoodiennes. Miracle en Alabama, son deuxième film, a d'abord été une pièce de théâtre à Broadway et c'est à la Nouvelle Vague française qu'il paye son tribut en réalisant Mickey one.
Exilé à Chicago pour échapper aux griffes de la mafia auprès de laquelle il a contracté des dettes, Mickey (Warren Beatty) débute sur la scène d'un petit théâtre comme humoriste. Son succès est tel qu'Ed Castle veut l'engager dans une grande salle. Mais le jeune homme, persuadé d'être pourchassé, refuse la proposition et ne cesse de s'enfuir lorsqu'on le sollicite.
Si Arthur Penn se souvient de la Nouvelle Vague, ce n'est pas pour la plagier mais pour inscrire son film dans une réalité contemporaine et pour retrouver un certain air de liberté. Lorsque Mickey arrive à Chicago, il se fait engager comme main-d’œuvre à bon marché et s'occupe des poubelles, de la plonge, etc. Alors que le postulat du scénario aurait pu laisser augurer une espèce de film de gangsters avec mafieux patibulaires et héros traqué, Penn prend son temps pour ancrer son récit dans un univers réaliste assez bien rendu. Mais cette toile de fond réaliste prend une autre dimension dès que l'on voit Mickey au milieu d'une casse automobile et que tout l'environnement semble l'agresser : une grue, une voiture fracassée, les engins de chantier...
Pour Penn, il s'agit de faire de son personnage un homme hanté par son passé et traqué par des ennemis dont il ignore tout. La mafia est une sorte d'entité abstraite, une menace omnisciente dont on ne verra pourtant jamais le visage. Le spectateur ignore le « crime » commis par Mickey (dette de jeu ? Jalousie ?...) et n'aura jamais l'occasion d'en savoir plus sur l'identité de ses poursuivants.
Il s'agit de donner corps à un personnage kafkaïen perdu au cœur des méandres d'une fiction paranoïaque.
Les plus belles séquences de Mickey one sont celles où Mickey se retrouve sur scène face aux feux des projecteurs. Il dialogue alors avec un ennemi invisible, persuadé qu'une balle peut, à tout moment, le faire taire à tout jamais. Ce halo lumineux qui devient angoissant symbolise à merveille cet « ennemi dans l'ombre » qui fait vaciller la raison du héros. Pour Penn (c'est Peter Biskind qui le précise en supplément du DVD), il s'agissait de faire un film métaphorique sur le maccarthysme et peindre le tableau d'une Amérique en plein soupçon, où derrière chaque personne peut se cacher un délateur, un « ennemi ». Mais Mickey one est également un film hanté par l'assassinat de Kennedy et à travers ce héros qui s'imagine persécuté, le cinéaste dresse le portrait d'une nation en crise dont les valeurs vacillent.
Mickey, incarné par le fougueux Warren Beatty qui débutait alors sa carrière après des débuts en fanfare dans le très beau La fièvre dans le sang de Kazan, est également un jeune homme qui lutte pour sa liberté et pour se dépêtrer des rets d'une organisation sociale. Cette « mafia » évoquée ici pourrait tout simplement être la projection d'un ordre social injuste contre lequel il lutte pour s'en affranchir. D'une certaine manière, en revendiquant sans arrêt sa liberté absolue et en partant toujours en cavale, Mickey annonce Clyde Barrow que le même Warren Beatty interprétera dans Bonnie and Clyde sous la houlette d'Arthur Penn. Chez le cinéaste, il s'agit toujours de contester l'ordre établi : soit en remettant en cause les mythes de l'Histoire américaine (Little big man), soit en optant pour la marge contre la société.
Sans être une œuvre parfaite (la narration est parfois un peu lâche), Mickey one annonce d'une fort belle manière toute l’œuvre à venir d'un cinéaste singulier et attachant.
On appréciera par ailleurs la musique jazzy qui confère au film une tonalité qui rappelle les premiers Cassavetes (Shadows), la superbe photo en noir et blanc de Ghislain Cloquet et la présence de la petite française Alexandra Stewart dont le charme est indéniable.
En convoquant le chef-opérateur de Resnais (Toute la mémoire du monde) et de Malle (Le feu follet) ainsi que la comédienne fétiche de Pierre Kast, Arthur Penn rendait, là encore, un hommage à la Nouvelle Vague française...