François Truffaut : le roman du cinéma (05/06 2014) sous la direction de Jean-Luc Douin. (Le Monde. Hors-Série)

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Nous célébrerons, cette année, les trente ans de la disparition de François Truffaut. A cette occasion, il est probable que nous verrons fleurir un certain nombre d'articles et de numéros spéciaux pour rendre hommage à l'auteur des 400 coups. C'est Le Monde à qui revient l'honneur de débuter la salve avec un numéro hors-série de bonne tenue.

 

Dirigé par Jean-Luc Douin qui s'est chargé de rédiger un beau portrait de l'homme et du cinéaste Truffaut, cette publication évite deux écueils majeurs où butent généralement les commentateurs. D'un côté, l'hagiographie lénifiante d'un Truffaut consensuel, célébré par ses pairs, par la critique (la moisson de Césars récoltés par Le dernier métro) et par le public. De l'autre, la critique facile des sempiternels détracteurs de la  Nouvelle Vague se réjouissant de voir Truffaut « trahir » ses idéaux de jeunesse et finissant par faire les mêmes films que ceux qu'il avait violemment attaqués.

Ce que montre bien ce numéro du Monde, c'est que le cinéaste ne fut jamais vraiment là où l'on aurait voulu le cantonner. Cinéaste du « milieu », il ne le fut en aucun cas par compromission ou volonté de plaire à tout prix au plus grand nombre. Qu'ils aient connu un grand succès public ou qu'ils furent des échecs commerciaux (ces films magnifiques que sont Les deux anglaises et le continent, La chambre verte ou L'homme qui aimait les femmes) ; les œuvres de Truffaut se caractérisent par une grande liberté, un ton et un style qui n'appartiennent qu'à leur auteur.

C'est pour cette même raison que l'accusation de « trahison » est totalement aberrante, à moins de n'avoir jamais rien compris à ce que fut la « politique des auteurs » préconisée par le jeune critique des Cahiers du cinéma (qui a toujours défendu le « cinéma de genre »). Lorsque Truffaut adapte des œuvres littéraires, ce n'est en aucun cas à la manière de Bost et Jeanson et l'on peut être certain que les romans choisis le seront toujours la manière qu'ils ont de résonner avec son propre univers (Jules et Jim, par exemple, a été une manière de rendre hommage à sa mère).

 

Un des textes les plus justes que l'on retrouve (dans une version abrégée) dans ce numéro est la critique de Serge Daney sur La femme d'à côté où il différencie le « Truffaut Jekyll » (qui plaît au famille et qui tente de se réinventer une famille : Cf. La grande famille du cinéma dans La nuit américaine) du « Truffaut Hyde », beaucoup plus névrotique, fétichiste et solitaire (le Truffaut des passions exclusives, ignorant la société).

A travers les extraits des textes de Truffaut, les débats que son œuvre a suscités, les hommages rendus par ses proches (Deneuve, Léaud, Moreau, Milos Forman...) et un entretien avec Serge Toubiana ; ce numéro du Monde cherche à faire la lumière sur ces deux faces (pas forcément antagonistes) du cinéaste.

 

Les spécialistes de l'auteur n'y trouveront sans doute pas de grandes révélations et beaucoup de textes compilés ici sont très célèbres (le fameux article Une certaine tendance du cinéma écrit en 1954, la violente correspondance de Truffaut avec son frère ennemi Godard...) mais dans les limites de ce que peut proposer un périodique généraliste, ce numéro fait figure de réussite.

On y redécouvrira le Truffaut « voyou » joliment loué par Depardieu qui vécut une enfance difficile auprès d'une mère qui ne l'aimait pas et d'un homme qui l'a reconnu sans être son vrai père. On le retrouvera adolescent, se recomposant grâce à la cinéphilie une famille d'élection où André Bazin endossera le rôle du père et ses compères de la future Nouvelle Vague ceux de frères. Doté d'une plume féroce et brillante, Truffaut s'en servira pour pourfendre les fausses gloires du cinéma français et pour louer les cinéastes qu'il adule : Renoir, Cocteau, Hitchcock, Ophüls, Guitry, Chaplin... Il y aura également Truffaut « homme à femmes », tombant éperdument amoureux de ses comédiennes et Truffaut cinéaste, exigeant et rigoureux.

 

Ce que montre ce numéro du Monde, c'est la complexité d'un homme et d'un cinéaste qu'on a encore aujourd'hui trop tendance à réduire à quelques clichés. Ce portrait composite et impressionniste donne, en tout cas, l'envie de se replonger toutes affaires cessantes, dans l’œuvre riche et protéiforme de François Truffaut.

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