Hugo Cabret (2011) de Martin Scorsese avec Ben Kingsley, Sacha Baron Cohen, Christopher Lee, Jude Law

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Le nouveau film de Martin Scorsese est une curiosité pour au moins deux raisons. Une raison objective : c'est la première fois que le cinéaste, spécialiste des films de gangsters et de l'ultra-violence, investit le royaume des contes pour enfants ; et une raison purement subjective : c'est la première fois (je sais, je ne suis pas en avance!) que je fais l'expérience de la 3D au cinéma.

D'aucuns ont reproché au réalisateur de changer de genre et de se compromettre en reniant son propre univers. Reproche injuste dans la mesure où c'est dénier aux créateurs le droit de tenter de nouvelles expériences et de se renouveler. Reproche d'autant plus injuste que Scorsese ne s'est jamais limité à ses films de mafieux et qu'il est déjà allé explorer avec plus (l'excellent La valse des pantins, After hours...) ou moins (un pensum comme La dernière tentation du Christ) de bonheur d'autres horizons et genres cinématographiques. D'autre part, il est évident qu'Hugo Cabret n'est pas un film moins personnel dans l’œuvre du cinéaste que Les affranchis ou Casino mais nous y reviendrons...

 

En revanche, je dois avouer que la 3D m'a un peu gêné. Sur le principe, je n'ai jamais été très convaincu (j'ai le souvenir de m'être ennuyé à mourir au Futuroscope de Poitiers) par ce que je considère davantage comme une attraction foraine qu'une véritable avancée esthétique. Si ce procédé permet à Scorsese de donner une certaine ampleur aux décors de son film (cette gare de l'Ouest- maintenant Montparnasse- où se déroule quasiment toute l'action du récit, ce goût pour les mécanismes d'horlogerie, ces roues, ces poulies qui offrent un cachet tout particulier à l’œuvre...), je trouve qu'il désincarne totalement les personnages. Pour ma part, je n'arrive plus à voir des acteurs à l'écran, ni même des êtres de chair et de sang mais des silhouettes qui paraissent dessinées en images de synthèse. C'est à mon sens le gros défaut d'Hugo Cabret : mise à part la figure de Georges Méliès, les personnages sont assez inexistants et je ne parle même pas des enfants, insupportables petits pantins niais (le doublage français d'Hugo est particulièrement calamiteux) que rien ne distingue des héros en culottes courtes qui peuplent les flopées de films sortant habituellement en cette période de fin d'année.

 

Mise à part cette réserve, Hugo Cabret est néanmoins un film riche et très intéressant. Ce que je préfère, c'est bien entendu son aspect « cinéphile » et cette redécouverte des débuts de l'histoire du cinéma à l'heure des technologies de pointe. Par le biais d'un automate que lui a laissé son père défunt et qu'il cherche à réparer, Hugo remonte jusqu'à l'auteur du Voyage dans la lune, désormais reconverti en anonyme marchand de jouets gare de l'Ouest. Cette rencontre avec un personnage célèbre permet à Scorsese d'évoquer de manière assez fine le devenir du cinéma et de traiter une fois de plus le thème de la transmission. D'une certaine manière, Hugo Cabret est le pendant fictionnel de son magistral Voyage avec Martin Scorsese à travers le cinéma américain. Il y a quelque chose de très beau dans cette façon qu'a le cinéaste de redécouvrir les débuts du cinéma (Méliès mais aussi Griffith, Louise Brooks, Buster Keaton et Harold Lloyd) à travers les yeux des enfants. Il a notamment l'excellente idée de filmer L'arrivée du train en gare de la Ciotat des Lumière en se plaçant du point de vue des spectateurs effrayés de la salle par tant de réalisme. Cette scène peut se voir comme un petit clin d’œil à la technologie 3D qu'il utilise pour la première fois et qu'il considère comme la continuité logique des effets de sidération que provoqua le cinéma à ses débuts.

Personnellement, je dois reconnaître que les scènes en 3D qui m'ont le plus impressionné sont celles des reconstitutions des « tableaux filmés » de Méliès. Parce qu'à la différence des scènes d'action très découpées (du coup, l’œil a du mal à s'habituer à la perspective), ces plans fixes permettent de s'immerger complètement dans ce monde en relief et de réinventer la magie primitive des premiers films. L’œuvre prend alors toute sa dimension féerique et rend ainsi un bel hommage au cinéma, pourvoyeur de rêves depuis plus d'un siècle.

 

Pour Scorsese, il s'agit de jouer les « passeurs », de renouer avec une certaine idée du cinéma et surtout de partager cette passion pour un art en pleine mutation. Comme dans des films comme Casino ou Les affranchis, le cinéaste montre la fin d'une époque et le début d'une autre puisqu'il aborde le cinéma en relief en revenant aux origines du septième art (les frères Lumière, Méliès). D'autre part, il fait de Georges Méliès un authentique personnage scorsesien à la dimension christique. Comme les héros de Raging bull ou des Affranchis, le cinéaste passe par une phase d'ascension puis de déchéance (la guerre qui le ruine) avant une certaine « rédemption » lorsque le public redécouvre enfin son œuvre dans les années 30 (on le voit d'ailleurs face à une salle, les bras en croix).

Mais à la différence d'un film comme Casino, Hugo Cabret n'a rien d'un chant funèbre. Le cinéma évolue et ne sera sans doute plus jamais cette attraction stupéfiante qu'il fut à ses origines mais il garde en lui cette capacité unique à enfanter les rêves les plus fous (que ça soit l'illusion du mouvement ou celle de pouvoir garder une étincelle de vie des êtres chers disparus).

Le cinéma ne mourra jamais tant qu'il y aura des créateurs fous pour nous raconter des histoires et des yeux d'enfants pour y croire...

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