Bright star (2009) de Jane Campion avec Abbie Cornish, Ben Whishaw

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Après avoir parlé de sexe, parlons d’amour ; même si je refuse de succomber au préjugé imbécile qui veut que les deux s’opposent. Il fallait entendre hier, au Masque et la plume, le compassé Neuhoff nous resservir la plus insipide des platitudes, à savoir que « moins on en montre, plus c’est sensuel. ». Ben voyons !

Attention, je ne suis pas en train de jeter la pierre aux partisans du « tout suggestif » : j’avoue que cela peut effectivement donner de forts belles choses (de la féline de Tourneur à Wong Kar-Waï). Mais d’en faire une règle générale, c’est nier cruchement que la sensualité peut aussi exister lorsque les choses sont montrées clairement et pour rien au monde je n’échangerai L’empire des sens de Nagisa Oshima contre le dernier film de Jane Campion ; n’en déplaisent à ses thuriféraires.

J’ai un avis un peu partagé sur Bright star. D’un côté, il me paraît impossible de nier le talent de la cinéaste. Ses plans sont fort beaux sans pour autant être décoratifs et sa mise en scène parvient parfaitement à naviguer entre les aspects les plus triviaux de la vie quotidienne au début du 19ème siècle et le sublime de la poésie et de l’amour romantique.

L’un des points forts de ce film qui raconte, je le rappelle à destination de mes lecteurs accablés par un esclavage salarié ne leur laissant pas le loisir de s’adonner au plaisir de la poésie, la passion tragique et non consommée entre le poète Keats et sa jeune voisine qui deviendra sa muse ; c’est justement d’éviter le « biopic » (du style « la poésie romantique anglaise pour les Nuls ») en adoptant le point de vue de l’amoureuse délaissée : Fanny Brawne. 

Point de vue féminin qui s’inscrit dans la droite ligne des héroïnes passionnées que Jane Campion s’est toujours plu à dessiner : Ada dans La leçon de piano, Janet Frame dans An angel at my table, Dawn dans Sweetie ou encore Isabel Archer dans Portrait de femme. Point de vue redoublé d’ailleurs par le personnage de la petite sœur qui rappelle, là encore, celui de la petite fille de La leçon de piano : plutôt que d’illustrer sagement quelques pages du Lagarde et Michard, Jane Campion a l’intelligence de jouer avec différents points de vue (n’oublions pas celui de Brown, l’ami de Keats qui l’héberge) qui permettent de composer un portrait nuancé et subtil du poète et de cette passion qui le brûla.  

Du coup, on n’a pas envie d’être sévère avec ce film et on cherche alors à se remémorer les belles séquences qui le parcourent : Fanny et sa petite sœur dans un champ de violette, le vent qui s’engouffre et fait voler des rideaux au-dessus du corps allongé de la demoiselle, la scène des papillons, les mains des amants qui cherchent à se trouver au-delà d’une cloison…

 

Pourtant, il faut bien le reconnaître humblement, le résultat ne m’a pas vraiment convaincu. Les premiers plans de Bright star montrent Fanny en train de coudre et des très gros plans suivent l’aiguille qui pénètre au cœur de la matière. Pour moi, Jane Campion est une bonne couturière qui sait soigner son ouvrage mais je ne sens pas la fièvre derrière tout cela (beaucoup plus dans La leçon de piano mais je ne l’ai pas revu depuis une éternité).

Ce qu’elle fait ici, c’est du bon James Ivory (non, non, croyez-moi, ce n’est pas forcément péjoratif dans ma bouche) : un solide travail d’artisan mais qui n’est jamais parvenu à me faire vibrer.

Peut-être qu’il s’agit là encore du syndrome Vincere/ Tetro : la tentation d’un retour à une « grande forme » beaucoup plus voyante que ce que les cinéastes voudraient nous faire croire. Chez Campion, la suggestion et le non-dit ont quelque chose de très volontariste, de très souligné (le poète doit faire poète, avec son regard ténébreux et sa toux d’artiste maudit). Mais derrière cette espèce de perfection formelle (qui n’est pas, je le reconnais, forcément « académique » ou « décorative » même si on frise ces écueils par moment), je ne ressens qu’une certaine sagesse qui m’a empêché d’être transporté par cette passion amoureuse qu’on devrait trouver brûlante.

Alors oui, Bright star est sans doute un beau film mais un brin trop précieux pour quelqu’un comme moi qui n’aime désormais rien tant que le premier degré et le tragique pur : Sirk, Garrel, Fassbinder…  

 

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