Les revenants (2004) de Robin Campillo avec Géraldine Pailhas, Frédéric Pierrot

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En découvrant ce film, j’ai immédiatement songé à une autre tentative intéressante française d’incursion dans le genre fantastique : Qui a tué Bambi ? de Gilles Marchand. Or il se trouve que Campillo, qui signe ici son premier long-métrage, a été le monteur du film de Marchand et qu’il a été scénariste de Laurent Cantet, autre cinéaste français assez doué pour faire sourdre un malaise sans avoir recourt aux effets spéciaux ou à de multiples déversements d’hémoglobine.

Les revenants repose sur un postulat original : un jour, les morts décident de revenir à la vie et envahissent les cités du monde entier. Dans la petite ville où se déroule l’action, on ne dénombre pas moins de 13000 revenants. Ce retour impromptu des macchabées ne provoque ni panique, ni émotion particulière ; juste quelques interrogations dont la principale est : que faire de tous ces gens revenus à la vie ?

L’une des originalités du film de Campillo, c’est d’installer d’emblée le récit sur les rails d’une étrange familiarité. Il ne s’agit pas de lutter contre les morts-vivants ou de les fuir mais de « gérer les excédents de population » et de « canaliser ces nouveaux flux humains » (pour reprendre l’abominable novlangue actuelle que convoque assez malicieusement le cinéaste).

Que faire de ces « morts » ? Leur trouver un emploi alors que leur apparente normalité est troublée par une certaine « aphasie » temporaire ? Les réinsérer dans les familles ? Les accueillir dans des centres construits à cet effet ?

En optant pour un style laconique, dénué de tout effet et jouant sur une certaine froideur distante (un peu à la manière de Qui a tué Bambi ?), Campillo créé immédiatement une atmosphère étrange et un peu oppressante. Mais ce qui oppresse le spectateur, c’est moins le spectacle de ces zombies envahissants la ville que celui des « vivants » cherchant à trouver des solutions.

Lorsqu’on assiste à la manière dont les autorités cherchent à « administrer » et « réguler » cette nouvelle donne qui remet en cause toutes les certitudes,  avec ce que cela suppose de « cellules d’aide psychologique aux familles » et de contrôle policier permanent des revenants ; on réalise à quel point ce ne sont pas les disparus les plus morts (au contraire, ils sont pris d’un excès de vitalité qui les pousse à marcher, à sortir, à se réunir…) mais nos sociétés contemporaines cherchant à administrer le vivant dans son ensemble (on n’ose imaginer les récriminations de ces autorités si les revenants se mettaient à fumer en public ou à donner une fessée à leur môme !)

De ce point de vue, la fable de Campillo fonctionne bien : ces « revenants » qui débarquent d’un coup nous sont familiers car ils ne sont que le miroir d’individus vivants désormais comme des morts en permission dans un monde où l’Homme a été réduit à des flux, des statistiques, des « ressources humaines à gérer » et à contrôler.

Là où le film faiblit un peu, c’est lorsqu’il délaisse la dimension collective de la fable pour se concentrer sur des cas individuels : Rachel (Géraldine Pailhas, qui comme Anne Parillaud, a débuté comme starlette insipide et qui, comme elle, s’affirme d’année en année comme une excellente comédienne sensible et habitée) qui retrouve son défunt compagnon et qui semble pouvoir revivre son amour brisé ou encore ce couple qui se déchire au retour de leur petit garçon de six ans.

Campillo a le bon goût de ne pas trop tirer sur la ficelle de la sensiblerie qu’appelaient de telles situations mais il flirte parfois avec un psychologisme un peu plus convenu (comment faire un deuil ? A quel moment faut-il vraiment se débarrasser de ses morts ?)

Pour ma part, ces questions m’attirent moins que la parabole un peu glaçante où le cinéaste décrit froidement un monde où les morts paraissent plus vivants que les vivants. La sobriété de la mise en scène n’empêche pas quelques visions assez saisissantes (les mouvements collectifs de ces revenants) et pointent de manière assez juste la manière dont une société déshumanisée tente par tous les moyens de briser et réguler ce qui se détache du flux (lorsqu’on entend certains responsables parler des revenants, on a parfois l’impression qu’ils parlent d’immigrés qu’il faut intégrer et réinsérer !).

On songe alors à la Théorie du Bloom de Tiqqun, à cette « forme de vie crépusculaire, vacante, affectant communément les humains dans le monde de la marchandise autoritaire. […] par ext. Sentiment d’être posthume ».

C’est ce sentiment que parvient à faire passer assez bien Robin Campillo…

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