Nói Albinói (2002) de Dagur Kari avec Tomas Lemarquis, Elin Hansdöttir

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Aki Kaurismaki dit souvent en plaisantant que la Finlande est un pays abandonné de Dieu. C’est un peu le même constat que fait Dagur Kari en se penchant sur un territoire plutôt méconnu au cinéma : l’Islande.

Le premier plan d’un film est souvent très important en ce sens qu’il donne la mesure du récit. Tout débute ici par une image de Nói, le jeune héros du film, pratiquement enseveli dans sa propre maison et obligé de dégager à la pelle la neige qui obstrue sa fenêtre. Par la suite, Kari ne cessera de montrer ce combat permanent de l’adolescent albinos contre un environnement hostile qui ne cesse de l’enfermer, de l’étouffer. Ce n’est pas un hasard si, lorsqu’il trouve un travail après avoir été viré de l’école, il se retrouve dans un cimetière, obligé de creuser un caveau suffisamment profond pour accueillir un tombeau.

Pour son premier long-métrage, le jeune cinéaste islandais opte pour une chronique désenchantée, traversée par des bouffées d’humour glacial rappelant le cinéma de Kaurismaki. Il suit les traces au quotidien de son jeune héros inadapté à l’univers de ce tombeau que semble être l’Islande. Bizarrement, sa singularité physique (le fait qu’il soit albinos) ne semble jamais expliquer sa « marginalité ». Le cinéaste insiste davantage sur le côté oppressant de son environnement et sur la volonté de Nói de « sortir la tête du trou », comme lorsqu’il appelle la belle Iris dont il est tombé amoureux en lançant des boules de neige sur les carreaux de sa fenêtre située symboliquement très en hauteur (il grimpera même le long d’un chéneau pour la rejoindre).

Pour le jeune homme, l’objectif principal est de s’évader (voir la manière dont il contemple les photos de paysages tropicaux) de ce quotidien gris et glacial qui l’emprisonne, que ça soit l’école ou une famille en lambeau : tandis que sa grand-mère le réveille à coups de fusil, son père cherche à combler son absence en jouant à copain/copain avec lui et n’hésite pas à lui confier son taxi lorsqu’il a trop bu pour effectuer ses permanences. Il y a chez Dagur Kari une vraie justesse dans la façon de croquer en deux, trois traits ses personnages. Sa mise en scène ne possède sans doute pas encore la lumineuse rigueur du maître finlandais déjà cité mais il réussit néanmoins un cocktail assez bien dosé d’humour noir (ce passage hilarant où Nói fait la cuisine avec son père et renverse maladroitement une cocotte-minute remplie de sang) et d’émotion (la fatalité de l’ensevelissement des personnages à la fin).

Le cinéaste arrive parfaitement à montrer comment un environnement pourtant assez bienveillant (les profs de Nói sont plutôt compréhensifs ; lorsqu’il tente de braquer la banque du coin, le directeur lui arrache le fusil des mains et le sermonne plutôt gentiment…) peut néanmoins peser et boucher tous les horizons d’un adolescent. Plus que la dureté du quotidien (rien n’indique qu’il l’est vraiment !), c’est l’absence (presque) totale d’espoir que filme Kari, comme le montre ironiquement une scène assez drôle où un libraire lit à Nói des passages de Kierkegaard témoignant de la totale vacuité de toute action humaine conduisant nécessairement aux regrets.

Le film n’est pourtant pas désespéré et laisse, ça et là, une petite place pour l’espoir : des images d’un ailleurs rêvé qui finissent par s’animer, des possibilités chez Nói de se sortir du magma où il végète (comme dans cette scène où pendant qu’un psychologue cherche à l’enfermer derrière de nouvelles grilles toutes faites, il parvient à gagner au Rubik’s cube et se rebelle contre les questions indiscrètes de son interlocuteur).

Ce mélange de mélodrame, d’ironie polaire et de sensibilité discrète permet à Dagur Kuri d’imposer sa « petite musique ». Son film n’est sans doute pas le chef-d’œuvre du siècle mais il sonne juste et nous révèle un cinéaste très prometteur (je ne sais pas si c’est toujours d’actualité mais il préparait un second long-métrage selon les préceptes du Dogme de Lars Von Trier).

 

NB : Le film n’ayant rien à voir, je ne vous livre pas de compte-rendu de mon (très agréable mais trop court) séjour niçois. Mais je profite de ce moment pour remercier une fois de plus très chaleureusement mon ami Vincent qui m’a invité et gentiment proposé de présenter un programme de films de Gérard Courant.

Ce fut très agréable de retrouver ce cinéaste toujours aussi passionné et volubile, capable d’évoquer avec la même verve les auteurs les plus secrets (Werner Schroeter, Robert Lapoujade…) ou la série du Gendarme à Saint-Tropez ! Et ce fut un grand plaisir de discuter avec tous ces infatigables cinéphiles bataillant farouchement pour faire vivre ce festival, d’être membre du jury chargé de distinguer quelques films en Super 8 (comme il n’osera pas en parler, sachez que les essais, hors compétition, de Vincent furent vraiment très convaincants) et que j’espère que nous arriverons à trouver d’autres occasions de nous retrouver entre  cinéphiles internautes, que je les connaisse déjà (une petite pensée pour Ed et Joachim qui m’avaient accompagné il y a deux ans)  ou pas encore…

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