Une étoile est morte
The artist (2011) de Michel Hazanavicius avec Bérénice Bejo, Jean Dujardin, John Goodman
Avant toute chose, il convient de tordre une idée reçue assez agaçante à propos de The artist : ce film est loin d'être l'unique tentative de renouer avec le cinéma muet et ce n'est en aucun cas, comme l'affirmait encore hier Thierry Frémaux sur France 3, « le dernier film muet des années 20 ».
La seule vraie surprise, c'est que ce genre d'initiative ait remporté un immense succès populaire et planétaire, ce qui nous réjouit sincèrement (cela prouve qu'on peut encore tourner sans dialogues et en noir et blanc aujourd'hui sans pour autant se mettre à dos un large public).
Mais sinon, l'esthétique de The artist ne se différencie que rarement de ce qui se fait aujourd'hui en terme de découpage et de montage (à part quelques séquences qui renvoient directement au style du cinéma muet) malgré une photographie très travaillée et des jeux de lumières souvent très réussis.
Même si on élimine le cinéma qualifié « d'expérimental » (Warhol, Brakhage, Dwoskin, Courant...), d'autres cinéastes ont également adopté le muet pour leurs longs-métrages, que ce soit Philippe Garrel mais aussi Alain Cavalier (Libera me, comme The artist, est un film sonore mais sans paroles) ou Aki Kaurismäki (le très beau Juha). Finalement, Michel Hazanavicius se situe plus du côté de Mel Brooks quand il réalise La dernière folie de Mel Brooks (Silent movie) que de la splendide deuxième partie de Tabou de Miguel Gomes.
The artist est un pastiche. Le cinéaste s'est d'ailleurs fait une spécialité de ce genre puisqu'on lui doit les deux OSS 117, pastiches des nanars français d'espionnage des années 50. Pour ma part, je n'ai vu que le premier opus de ce diptyque et je dois avouer avoir été un peu déçu. Malgré quelques très bons moments, le cinéaste ne parvenait pas vraiment à dépasser le côté « petit malin » du genre. C'est un peu ce que l'on craint avec The artist : un exercice de style soigné mais n'allant pas plus loin que ça. Jean Dujardin interprète George Valentin, star du muet dont la route va croiser celle d'une jeune starlette bien décidée à faire carrière à Hollywood (Bérénice Bejo).
D'emblée, Hazanavicius joue la carte du pastiche malicieux et tendre : Jean Dujardin joue les séducteurs à la Rudolph Valentino mais les films qu'il tourne (exotiques, plein de rebondissements...) font aussi de lui une espèce de Douglas Fairbanks (notamment lorsqu'il endosse le costume de Zorro).
Le scénario est également truffé de références aux classiques (parlants!) du cinéma hollywoodien. On songe à Chantons sous la pluie qui montre aussi la difficulté des acteurs du muet pour s'adapter au parlant, à Une étoile est née (la starlette qui monte tandis que son « mentor » est sur le déclin) ou encore à Boulevard du crépuscule quand le film aborde le thème de la déchéance des vieilles vedettes du cinéma muet.
Si le début du film est extrêmement plaisant, on craint néanmoins qu'il se heurte à l'écueil du pastiche un peu vain. L'exercice de style est réussi (je le répète, la photographie est magnifique et Hazanavicius parvient à jouer intelligemment avec les éclairages, les ombres...) mais on redoute un peu l'essoufflement rapide. Or le cinéaste s'en sort grâce au « mélodrame ». En effet, alors que les personnages paraissent d'abord être des pantins sautillants agréables mais sans profondeur ; ils deviennent peu à peu assez attachants. Je n'ai jamais tellement aimé Jean Dujardin mais il faut bien reconnaître qu'il est ici assez convaincant dans le rôle de cette star déchue. Son côté charmeur et séducteur me laisse un peu indifférent mais lorsqu'il commence à jouer la douleur et la chute, il devient touchant. En revanche, j'ai été immédiatement conquis par le charme et la grâce de Bérénice Bejo. Elle a vraiment un côté intemporel qui sied parfaitement à son rôle.
Quand débute vraiment cette histoire d'amour en demi-teinte entre eux deux, le cinéaste a le bon goût de tomber le masque du petit malin et de faire preuve d'une véritable sincérité (ce qui manquait vraiment, à mon sens, à OSS 117). Rien de bien nouveau dans cette romance sentimentale mais une croyance dans le cinéma qui finit par emporter l'adhésion.
De plus, Hazanavicius a souvent d'astucieuses idées de mise en scène (par exemple, cette séquence cauchemardesque où Valentin entend les sons), que ce soit avec les intertitres (le « bang » ambigu d'une des dernières séquences) ou les cadrages.
Au bout du compte, même si ce n'est sans doute pas le chef-d’œuvre du siècle, The artist s'avère être un bel hommage au cinéma, à sa magie primitive mais également à son devenir. George ne meurt pas vraiment et se reconvertit dans la comédie musicale, autre genre qui connut son heure de gloire et son déclin inéluctable. Jean Dujardin ressemble alors à Gene Kelly. Une étoile est morte mais le spectacle continue...