Les bêtes du sud sauvage (2012) de Benh Zeitlin avec Quvenzhané Wallis, Dwight Henry

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J'avais vu Les bêtes du sud sauvage il y a un mois et demi dans l'avion, sur un minuscule moniteur pendant un vol Le Caire/ Paris. Même dans ces conditions qu'on ne peut pas qualifier d'optimales, j'avais été frappé par la puissance de ce premier film. Du coup, je suis allé vérifier en salle que la caméra d'or du dernier festival de Cannes méritait bien tous les éloges qu'elle reçoit en ce moment. Et je dois dire que je n'ai pas été déçu.

Sur le papier, le jeune réalisateur Benh Zeitlin semble avancer droit vers deux écueils du cinéma contemporain. Le premier est celui du naturalisme. Le film se déroule dans un bayou de Louisiane et pose un regard sans concession sur la misère d'un petit groupe d'individus bien décidés à rester dans leurs habitations de fortune alors qu'ils sont installés dans une zone inondable menacée par des tempêtes.

Le quotidien que nous présente le cinéaste n'a rien de très enviable : taudis, pauvreté, petite fille livrée à elle-même et obligée, parfois, de faire une cuisine innommable... Et pourtant, jamais il ne cherche à s'apitoyer et à jouer la carte du misérabilisme. Nous y reviendrons.

Le deuxième écueil était celui de la complaisance mélodramatique. Car Les bêtes du sud sauvage est aussi un film de « maladie » : le père de la petite Hushpuppy est atteint d'un mal qui le ronge inexorablement et risque de la laisser seule, livrée à elle-même... Mais là encore, mise à part une scène finale un poil trop lacrymale, Zeitlin évite de sombrer dans le pathos.

 

La raison principale de la réussite des Bêtes du sud sauvage est tout simplement une pure question de mise en scène et de point de vue. Plutôt que de livrer un tableau naturaliste d'un monde sinistré, l'auteur adopte le parti-pris de la subjectivité totale et épouse le point de vue de Hushpuppy. Ce petit bout de femme au regard buté et à l'énergie insubmersible permet au cinéaste de récréer entièrement l'univers à son échelle et de jouer sur des changements d'axes perpétuels. D'un côté, la nature sauvage indifférente aux souffrances des hommes (avec cette soumission aux éléments : l'eau, le feu...) ; de l'autre, un univers onirique recréé par l'imagination de cette petite fille.

 

Zeitlin joue à merveille sur les décors étonnants de ce sud sauvage totalement détruit par des pluies diluviennes et ne cesse de faire le parallèle entre la vie des habitants et celle des animaux qui les côtoient au quotidien. Comme dans La nuit du chasseur (le plus beau « southern film » de tous les temps), l'étonnant bestiaire du film semble contempler avec la plus parfaite indifférence (cette indifférence de la Nature) les destinées humaines. Parallèlement, les hommes réduits à dompter les éléments ont une vie qui s'apparente à celle des animaux, et le père de Hushpuppy ne cesse de la pousser à être « une vraie dure » (que ce soit pour décortiquer un crabe et le manger cru ou retenir ses larmes quand arrivera la séparation programmée).

Cette vision absolument épouvantable de l'existence est contrebalancée par la subjectivité de Hushpuppy qui recréée l'univers à sa mesure en imaginant des aurochs mythiques revenant détruire sa terre. Le film navigue alors entre l'infiniment petit (cette fillette) et l'infiniment grand puisque Hushpuppy semble percevoir les grands déséquilibres de la planète à son échelle. Ce qui permet au cinéaste de faire des raccourcis assez étonnants comme ce moment où la petite frappe son père à la poitrine. Celui-ci s'effondre et Zeitlin raccorde sur un glacier polaire en train de s'écrouler. Plus tard, après la tempête, l'espèce d'embarcation qui mène toute la famille ressemble à une véritable Arche de Noé.

Les bêtes du sud sauvage parvient ainsi à se frayer un chemin entre le réalisme le plus cru et une approche mythique du monde où tout semble raccorder (un petit déséquilibre quelque part et c'est la planète entière qui titube). Il est surtout porté par une énergie qui compense les petites faiblesses que l'on pourrait noter ça et là (la construction du film n'est pas parfaite). Cette énergie passe à la fois par la mise en scène (caméra portée à l'épaule mais sans « maniérisme »), la musique (très entraînante) et cette extraordinaire petite fille qu'est Hushpuppy. La petite Q.Wallis est absolument magnifique et porte sur ses frêles épaules tout le film (c'est elle qui prend en charge le récit en voix-off).

Son regard est capable de faire s'agenouiller devant elle de féroces aurochs et l'on y croit. A travers les épreuves, Hushpuppy quitte le monde de l'enfance en affûtant une volonté de fer pour entrer dans l'univers des adultes en force.

La puissance tellurique qui anime cette fillette capable de faire plier la nature contamine tout le film et charrie des émotions qui n'ont rien de fabriquées...

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