Une question d'identité
Ordo (2004) de Laurence Ferreira-Barbosa avec Roschdy Zem, Marie-Josée Croze, Marie-France Pisier.
Ordo est un marin sans histoire ou presque. Un jour, il découvre pourtant par le plus grand des hasards que la femme qu'il a épousée seize ans auparavant est devenue une grande star du cinéma et qu'elle se prénomme désormais Louise. Comme il n'arrive pas à la reconnaître, il cherche à l'approcher pour découvrir son secret...
Cela fait maintenant quelques années que nous n'avons plus beaucoup de nouvelles de Laurence Ferreira-Barbosa dont le premier film (Les gens normaux n'ont rien d'exceptionnel) était fort prometteur. Ses films suivants (J'ai horreur de l'amour et La vie moderne) n'étaient pas honteux mais j'avoue n'en avoir gardé aucun souvenir. Puis je confesse n'avoir plus suivi sa carrière et si IMDB n'existait pas, je serais incapable de vous dire qu'elle a réalisé Soit je meurs, soit je vais mieux (ça parle de quoi?). De la même façon, je ne me souvenais absolument pas de la sortie d' Ordo et que la cinéaste s'était attelée à adapter un roman de Donald Westlake.
Qu'elle s'inspire d'un écrivain plutôt spécialisé dans le policier et le thriller social peut expliquer la couleur et la tonalité un peu différentes de ce film comparé à ses précédents. Ordo est moins ancré dans une réalité contemporaine (il est fait une fois allusion au Vietnam dans le film mais je pense que cela résonne moins dans les têtes dans un contexte français que dans un contexte américain) et la cinéaste emprunte les chemins du thriller psychologique.
Disons le d'emblée, le film n'est pas inoubliable. Le récit est assez classique et manque parfois un peu d'ampleur. Quant à la mise en scène, si la cinéaste a suffisamment de talent pour éviter l'écueil du téléfilm français de base (grâce à une utilisation intelligente du flash-back et de légères entailles dans le corps balisé du récit), elle frise parfois une certaine fadeur.
Ces réserves posées, Ordo se suit sans ennui : l'intrigue est bien ficelée et la distribution est de bonne tenue (une mention particulière à Marie-France Pisier, assez exceptionnelle en mère intrusive et étouffante). La meilleure idée de Laurence Ferreira-Barbosa, c'est finalement de mettre assez rapidement de côté l'aspect « policier » du récit (est-ce que Louise est véritablement la jeune fille qu'Ordo connut) pour s'intéresser à la question de l'image et de l'identité.
Le film se déroule dans les milieux du cinéma et la cinéaste montre à quel point tout ce petit monde est creux et artificiel. Toutes les personnes qui vivent dans l'entourage de Louise portent des masques et ne sont que des « images ».
Tout l'enjeu du film va être alors de confronter une image du passé (une adolescente qui s'appelait encore Estelle) à une « nouvelle image » : celle de Louise la star. Une des séquences récurrentes du film montre Ordo derrière des persiennes en train d'observer Louise en train de se baigner nue dans une piscine. La mise en scène épouse de manière assez habile le point de vue de cet homme pour montrer à la fois le pouvoir de fascination de cette « image » mais également son « opacité ». Quelque chose glisse sur l'image de Louise comme si tout son passé et ce qu'elle fut auparavant avait disparu.
Le film ouvre alors des gouffres vertigineux sur ce qu'est réellement l'identité : au-delà du fait qu'un individu puisse changer en 16 ans, la cinéaste suggère qu'il peut également devenir quelqu'un de radicalement autre et remiser tout ce qu'il fut dans un coin obscur et inaccessible. Le temps a fait son travail : il ne peut désormais plus y avoir de vie commune pour Ordo et Louise.
On regrette que Ferreira-Barbosa n'ait pas traité ce beau sujet avec un peu plus de tranchant. Tout cela reste assez lisse et ne cherche que trop rarement à provoquer le malaise (sauf dans la belle scène de repas avec la mère de Louise).
Mais encore une fois, l'ensemble s'avère assez estimable.