Sorcerer (Le convoi de la peur) (1977) de William Friedkin avec Roy Scheider, Bruno Crémer, Francisco Rabal

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L'histoire de Sorcerer n'est pas banale. Après les triomphes de French connection et de L'exorciste, William Friedkin décide de refaire Le salaire de la peur, classique du cinéma français mis en scène par Clouzot d'après un roman de Georges Arnaud. La suite est connue : défections de certains acteurs prévus, dépassement de budget, tournage infernal (digne de ceux d'Herzog ou d'Apocalypse now)... Et pour finir, une sortie dans les salles une semaine avant le triomphal Star Wars qui enterrera le film de Friedkin devenu immédiatement maudit. La symbolique de cet échec est d'ailleurs assez belle : le joujou intergalactique de Lucas mettant un terme définitif à l'insolente créativité du « nouvel Hollywood » et à sa part maudite ; l'infantilisme emportant désormais tous les suffrages.

L'an passé, le film a été restauré et présenté en présence de son réalisateur à la Cinémathèque. Alors qu'il avait été plutôt mal accueilli au moment de sa sortie par la critique française, il bénéficie aujourd'hui d'un statut de « film culte » (oh la vilaine expression!) et semble considéré par beaucoup comme le chef-d’œuvre de Friedkin (cinéaste estimable mais que je trouve quand même un peu surestimé).

J'étais donc très excité à l'idée de découvrir cette œuvre mythique et maudite. Et comme ça arrive souvent dans ce cas de figure, je dois avouer que j'ai été un petit peu déçu. Entendons-nous bien : Sorcerer est un bon film, parfois même époustouflant, mais je n'arrive pas à le considérer comme le chef-d’œuvre annoncé.

Friedkin est un cinéaste de l'action : dès les premiers plans, on est saisi par la puissance de sa mise en scène, la sécheresse du montage, la précision du découpage. L'attentat à Jérusalem est un grand moment de cinéma « pur » mais très vite se pose la question : quel en est l'intérêt ? Car lorsqu'il s'agit de construire un récit et de nourrir des personnages, le bât blesse un peu.

Du long prologue présentant les quatre personnages qui se retrouveront fuyards en Amérique Latine, Friedkin ne tire quasiment rien. Du coup, pour prendre un exemple précis, la partie parisienne me semble totalement inutile et aurait pu être résumé à deux lignes de dialogues par la suite.

Arrivé en Amérique Latine, Friedkin peine un peu à donner de la consistance à ses quatre héros taiseux. Si le film est visuellement fort et rend bien la moiteur de la jungle, la narration est un peu laborieuse et il manque cette épaisseur qui rend inoubliables les héros similaires des grands films de Jean-Pierre Melville (une des grandes références revendiquées par Friedkin).

Cependant, lorsque se met en branle la partie la plus spectaculaire du film (à savoir le transport de nitroglycérine à travers la jungle à bord de deux vieux camions), Sorcerer devient époustouflant (il faut le concéder).

D'une part parce que Friedkin ne se disperse plus et se concentre enfin sur ses quatre héros. D'autre part parce que se déploie vraiment toute la démesure de sa mise en scène. Rythmée par la musique hypnotique de Tangerine dream, l'aventure devient de plus en plus hallucinée pour se terminer par une séquence démente où le cinéaste nous fait pénétrer au cœur de la folie de son rescapé (à l'aide de surimpressions et d'un montage fiévreux).

Certaines séquences sont d'une puissance et d'une beauté inouïe, je pense en particulier à ce fameux moment où les camions doivent traverser un pont de cordes tandis qu'une tempête fait rage. Les images dantesques que nous offre Friedkin sont assez incroyables. Le passage où les conducteurs doivent faire sauter un tronc pour accéder à nouveau à un chemin est aussi une merveille de mise en scène. Mais tout dans cette partie (qui doit faire 45 minutes) mériterait d'être cité tant Friedkin parvient à mêler l'action pure à une dimension quasiment « métaphysique » (je sais que le terme a été galvaudé mais il y a de ça dans le rapport de ces hommes à une nature hostile). Si tout le film avait été de ce (haut) niveau, Sorcerer aurait été un immense chef-d’œuvre.

Mais s'il est incroyablement doué pour l'action et la démesure, Friedkin pêche aussi du côté d'un récit parfois un peu bancal et par des personnages auxquels on tarde à s'attacher.

Hanté par les puissances du Mal (Cf. L'exorciste) que l'on retrouve ici mais dans un cadre moins « fantastique », il signe avec Sorcerer un bon film d'aventures qui contient en son sein quelques unes des scènes les plus impressionnantes jamais tournées dans le genre.

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