Lacrau (2013) de João Vladimiro. Sortie le 27 aout 2014


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Un enfant assis sur un rocher hésite à sauter dans l’eau. La caméra le cadre de manière à ce que le spectateur ne voie pas le vide qu’il y a sous ses pieds. Il sourit, fait mine de se lancer, se ravise puis finit par sauter. Dans la foulée, une étrange cérémonie semble se dérouler sur l’eau : un vieil homme mort dérive lentement sur une embarcation de fortune.

Ainsi débute Lacrau, étrange film qui navigue entre le documentaire ethnographique et le film expérimental. Outre sa splendeur plastique qui évoque parfois La nuit du chasseur, cette entrée en matière précise déjà tous les enjeux de l’œuvre : un jeu de contrastes permanent (la jeunesse et la vieillesse, la vie et la mort) grâce auquel le cinéaste nous offre une sorte de récit cosmogonique sans avoir recours à la narration.

Comme tout film « expérimental », Lacrau relève plus de la musique que du récit cinématographique traditionnel : jeu de rimes, de contrepoints, de rythmes et de mélodies.  Après cette ouverture sur les eaux, le film va jouer sur le contraste entre la ville (silhouettes anonymes qui déambulent le long des rues, visions nocturnes d’un parking de zone industrielle désert…) et la campagne.

Le cinéaste nous emmène alors dans les régions agricoles du nord du Portugal et filme avec patience les gestes d’éleveurs de chèvres ou la mise à mort d’une truie. Pour ma part, j’avoue que cette partie « humaine » est celle que j’aime le moins. Sans doute parce que la teneur même du projet empêche d’avoir une quelconque empathie pour ces individus qui resteront à jamais « anonymes » (précisons que le film est dénué de dialogues et qu’on n’y entend (quasiment) pas de voix humaines). Du coup, ces passages m’ont paru un peu trop « arty », comme si le cinéaste tentait de renouer avec une certaine « simplicité » du monde mais de manière trop théorique pour séduire.


Peu à peu il se détache néanmoins de ces figures humaines pour se concentrer sur ce qui l’intéresse le plus : des paysages, des ruisseaux, le minéral et le végétal avec, là encore, des contrastes et des jeux d’associations étonnants. Je pense notamment à cette manière qu’à Vladimiro de retrouver des traces de figures humaines dans la découpe de certains rochers. Et il parviendra même, un peu plus tard, à voir une figure se dessiner dans une flaque d’eau où se reflètent des néons urbains.

Il y a une indéniable poésie qui se dégage de la manière dont il filme les éléments qui nous entourent et qui acquièrent, devant sa caméra, une familiarité à la fois étrange et singulière. Dans cette façon de se mettre au diapason de la nature (il y a des plans de ruisseaux et de chutes d’eau d’une stupéfiante beauté), le cinéma de Vladimiro évoque parfois celui de Jean-Claude Rousseau lorsqu’il tourne La vallée close. Les deux pratiquent un cinéma « minimaliste », presque domestique (il s’agit de filmer des promenades dans la forêt) mais porté par une ambition formelle très riche. Dans Lacrau, le cinéaste joue sur divers type d’images et de formats (certains plans sont en 16mm tandis que d’autres semblent tournés en vidéo), sur les effets de lumière (une splendide séquence où les paysages nocturnes sont soudain éclairés comme si un orage puissant les révélait) et un montage d’une rare intelligence.

Je vous laisse la surprise mais la séquence finale, à elle seule, mérite le détour et aurait pu faire, si elle avait été isolée du film, un court-métrage absolument sublime.


Tout n’est peut-être pas du même niveau dans Lacrau et d’aucun pourront trouver l’expérience un peu aride. Mais pour ceux qui n’ont pas peur de s’éloigner un peu des sentiers balisés du cinéma formaté, ce film possède une force et une beauté singulières assez indéniables… 

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