Horreur carnavalesque
Samurai Princess (2009) de Kengo Kaji et Dead ball (2011) de Yudai Yamaguchi. (Éditions Elephant films). Sortie le 4 mars 2015
Suite et fin provisoire de notre découverte des productions « Sushi Typhoon », département de l'auguste maison de production Nikkatsu qui s'est spécialisé depuis quelques années dans le cinéma « trash », mêlant gore et mauvais goût. Disons le d'emblée : les deux films dont il va être question sont moins intéressants que ceux de Noboru Iguchi : moins excessifs et délirants que Zombie ass, moins solides et tenus que Tommie Unlimited.
Ce qui frappe à la vision de ces œuvres, c'est leur parenté avec l'esthétique du manga. Même si le terme englobe une quantité de productions très différentes, on retrouve ici le même sens du découpage (avec une dilection toute particulière pour l'insert), des univers bariolés, une violence carnavalesque qui n'a rien de réaliste (les effets spéciaux numériques sont à mille lieues des débordements « gore » des grands films d'horreur des années 70/80 qui recherchaient un certain réalisme) et des comportements surnaturels. Pour prendre un exemple précis, lorsque le héros de Dead ball s'apprête à lancer sa balle mortelle, il décolle littéralement du sol et s'envole au-delà de l'atmosphère terrestre (sans être un spécialiste, il me semble qu'un manga comme Dragon ball Z affectionnait particulièrement ce genre de combats aériens).
Dead ball narre les aventures d'un jeune champion de base-ball doté d'une force surhumaine qui provoque un jour un terrible accident : l'enfant tue son père au cours d'un entraînement. Il décide de ne plus jamais toucher à une batte de sa vie et devient un célèbre délinquant. Transféré dans une prison, une cruelle matonne lui propose d'intégrer une équipe de base-ball afin de battre une redoutable équipe féminine. Là encore, on songe à ce sous-genre fertile que constitue le manga sportif. Par ailleurs, le cinéaste Yudai Yamaguchi (une dizaine de films à son actif) pimente son récit de tout un folklore cher au cinéma d'exploitation : l'univers carcéral (avec une scène éprouvante de « fist fucking » en guise de fouille des prisonniers!), de cruelles matonnes qui nous renvoient aux beaux jours de la saga Ilsa et la présence tout à fait improbable d'anciens nazis !
Le scénario tient sur un ticket de métro puisque tout est bâti en vue de l'affrontement final entre les deux équipes. Affrontements qui nous vaudront les morts les plus sanglantes qu'on puisse imaginer. Tant d'irréalisme dans les débordements sanguinaires confine parfois à la poésie. Il fallait oser imaginer qu'on puisse donner des coups de poings... à travers le combiné d'un téléphone (après tout, ces appareils permettent de communiquer par la parole, pourquoi pas par les poings?). De la même manière, on sourit devant l'imagination déployée dans le massacre final et les clins d’œil que se permet le cinéaste (un personnage tout bleu, qui porte constamment sur le nez des lunettes 3D, se nomme « Abatar »!). Le résultat est un film d'horreur carnavalesque assez plaisant mais qui souffre néanmoins d'une mise en scène un peu approximative pour emporter complètement l'adhésion.
Cette violence irréaliste, on la retrouve au cœur de Samurai Princess de Kengo Kaji. Les corps ne sont plus soumis à aucune loi de la nature et il suffit d'un coup de pied bien placé pour extraire entièrement une cage thoracique de l'enveloppe charnelle ou d'une poigne bien ferme pour trépaner un adversaire. A propos de cette dernière action, l'héroïne profite de ce cerveau mis à nu pour se connecter directement sur celui-ci et découvrir ce que son ennemi lui cachait ! Tout cela peut paraître bien fantaisiste (ça l'est!) mais ce sont sans doute ces excès démentiels qui font le charme de ce cinéma « trash ».
En revanche, le film souffre d'un scénario étique qui s'étire interminablement en son milieu. Une fois que l'on a compris que la « princesse samouraï » (en fait, une créature hybride créée par un médecin fou pour se venger d'atroces androïdes qui ont massacré et violé onze jeunes filles) était à la recherche des horribles « Méchas », le film n'a quasiment plus rien à dire jusqu'à l'affrontement final avec un monstre pittoresque. Samurai princess, qui n'est pourtant pas très long (1h20), souffre d'un ventre mou assez inepte, à peine pimenté par une scène d'amour filmé comme dans ces émissions érotiques que diffusaient M6 dans les années 90 (esthétique clippeuse, décors blancs...).
Seuls les excès « gore » sortent le spectateur de sa torpeur en sachant que les effets-spéciaux sont assez indigents.
Malgré ces réserves, concédons que la découverte de ces productions « sushi typhoon » fut plutôt agréable dans la mesure où elle prouve qu'un certain esprit du cinéma « d'exploitation » n'est pas tout à fait mort. Dans ces films, l'horreur prime mais elle est codifiée, irréaliste, excessive mais quasiment « poétique » dans ses meilleurs moments (dans Samuraï Princess, les androïdes considèrent le massacre et le découpage humain comme une œuvre d'art).
Et ces déchaînements carnavalesques finissent par avoir quelque chose de rutilant et de bien sympathique...