The Taint (2010) de Drew Bolduc et Dan Nelson avec Drew Bolduc, Colleen Walsh.

American Mary (2012) de Jen et Sylvia Soska avec Katharine Isabelle

(Editions Elephant Film). Sortie le 4 mars 2015

Masculin féminin

Poursuivons notre exploration des films déviants édités ces jours-ci par l'excellente maison Elephant film. Entre deux délires japonais, il convient d'aller jeter un œil sur ce qui se passe aux États-Unis, grande patrie du cinéma d'exploitation le plus improbable, et notamment sur ces deux films qui posent un regard bien singulier sur les rapports homme/femme.

The Taint ne mérite que quelques mots en dépit de la  petite aura que lui confère le label Troma (qui n'a d'ailleurs pas produit le film mais s'est contenté de le distribuer).

Dans un bled paumé de l'Ouest américain, les habitants sont victimes d'une étrange épidémie. L'eau a été contaminée et transforme les mâles du coin en d'affreux tueurs de femmes. Au cœur de ce chaos, Phil, un jeune homme blond, se bat pour protéger sa petite amie contre des hordes de zombies misogynes qui se baladent le sexe (hypertrophié) à la main, éjaculant régulièrement des litres d'un liquide blanchâtre.

Drew Bolduc se retrouve quasiment à tous les postes du film : producteur, réalisateur, scénariste, acteur (il interprète même deux rôles : il n'y a pas de petites économies), musicien (la bande-son est abominable), montage, caméra, son et réalise une œuvre trash assez sympathique sur le papier mais qui fatigue très rapidement si on est rompu à ce style de film et qu'on a plus de 15 ans.

La seule visée des réalisateurs est la provocation : ça commence par des vomissements puis par une succession de scènes plus gore les unes que les autres : têtes éclatées, visages arrachés et une obsession pour les sexes masculins explosés.

Le propos aurait pu être sympathique dans la mesure où l'on comprend que l’œuvre entend dénoncer une certaine misogynie : les femmes sont les victimes de gros beaufs esclaves de leurs queues, l'avortement a été interdit aux États-Unis ce qui oblige une jeune fille à demander à son copain de s'en charger lui-même avec un cintre... Sauf que le côté amateur de la mise en scène empêche constamment le film de décoller et de rejoindre les grandes œuvres salutairement provocatrices de John Waters ou le Street Trash de Jim Muro. The taint est (mal) filmé caméra (vidéo) à l'épaule, sans le moindre désir de construire quelque chose ou de réussir ne serait-ce qu'un raccord (une jeune fille surgit entre un zombie et Phil, tire en pleine face du monstre et nous voyons au plan suivant la tête qui explose... de dos!). Même le mauvais goût le plus outrancier mérite une certaine rigueur et un certain talent.

Après, il ne s'agit pas d'être trop sévère avec The taint et le prendre pour ce qu'il est : une blague de potache réalisée à la va-comme-je-te-pousse qui séduira peut-être les amateurs de (très) mauvais goût et de flots d'hémoglobine !

 

Masculin féminin

Beaucoup plus intéressant, en revanche, est American Mary des sœurs Soska. J'avoue que je ne connaissais pas ces cinéastes mais qu'elles bénéficient d'une certaine renommée parmi les amateurs de cinéma étrange et déviant. Dès le départ, on sait que ce film sera l'exact opposé de The taint : la mise en scène (cadre, éclairage, découpage) est soignée, le récit est construit et nous mènera crescendo vers l'horreur et le film bénéficie de l'interprétation impeccable de la singulière et séduisante Katharine Isabelle. Celle-ci incarne Mary, une étudiante en médecine qui veut devenir chirurgien. Pour payer ses études, elle se rend dans une boite de massage mais ce sont ses talents pour la suture et les opérations chirurgicales qui attirent l'attention. Du coup, elle se spécialise dans les opérations plastiques pour les marginaux cherchant à remodeler leurs corps (une langue coupée en deux, une femme qui transforme son corps en celui d'une poupée en se faisant ôter les tétons, un tatoué avec des espèces de petites cornes greffées sur le front...)

Parallèlement, elle est invitée à une soirée parmi les médecins de l'hôpital où elle est droguée et violée. Elle utilisera donc également le scalpel pour assouvir sa vengeance.

Même si le scénario évoque les schémas classiques du cinéma d'horreur, la force d'American Mary réside dans son atmosphère, mélange étonnant de douceur et d'horreur (à l'image de ces scènes de chirurgie illustrées par la musique de Bach!)

Les sœurs Soska ont un appétit évident pour tout ce qui est hors-norme, bizarre, étrange, à l'image de cette boite de massage où se retrouvent tous les freaks du coin. Mais elles n'en rajoutent jamais dans l'horreur gratuite ou la complaisance, montrant de manière assez astucieuse les deux facettes d'une chirurgie qu'on pourrait qualifier d'au service des femmes.

Facette classique : celle de la vengeance contre des hommes qui les violent et les abusent. Mary s’entraînera sur son bourreau pour se faire la main et réaliser toutes les opérations chirurgicales imaginables (amputations volontaires, changement de sexe, bouche recousue...). J'allais dire que c'est le côté le plus « classique » du discours de la guerre des sexes et pas le plus intéressant (je ne me lancerai pas sur un nouveau débat autour du thème de la vengeance et de la question  « la fin justifie t-elle les moyens ? »)

En revanche, toute la partie relative aux modifications corporelles que pourrait permettre la chirurgie est assez intéressante. Elle permet aux sœurs Soska de nous plonger dans un univers queer (comme on dirait si nous étions aux Inrockuptibles) sans pour autant nous matraquer le discours attendu sur le « genre ». Même si on peut qualifier American Mary de film féministe, il préfère accueillir généreusement en son sein les marginaux (voir ce beau dialogue entre Mary et un videur du bar) et montrer que la monstruosité est du côté des violeurs, pas de ceux qui veulent modifier leur corps à leur guise.

Là encore, on pourrait retomber sur du discours simpliste de geek inculte s'octroyant des brevets de "féminisme" avec d'un côté les « oppresseurs » (hommes, blancs, hétérosexuels : forcément tous des violeurs en puissance !) et « opprimés » (femmes, transsexuels, marginaux) mais le film n'emprunte pas cette voie (voir le flic qui a compris que Mary était d'abord une victime).

En dépit de quelques scènes éprouvantes, il s'avère assez subtil et suffisamment singulier pour donner envie d'en savoir plus sur les sœurs Soska...

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