Le petit garçon (1969) de Nagisa Oshima. (Editions Carlotta). Sortie en salles 4 mars 2015. En DVD le 11 mars 2015

Prison à ciel ouvert

2015 sera l'année Oshima. Tandis que s'ouvre à la Cinémathèque ce mercredi une grande rétrospective consacrée au cinéaste, les éditions Carlotta sortent un superbe coffret de 9 films couvrant la période de 1965 à 1972. Parmi ces neuf films, Le petit garçon est également repris en salles et disons-le d'emblée, c'est une superbe (re)découverte.

Après une série de films où Oshima a malmené le récit traditionnel (on se souvient de Nuit et brouillard au Japon et de ses longs plans-séquences), il revient ici à une narration beaucoup plus classique et linéaire. Le film s'inspire d'un fait divers : un vétéran de la deuxième guerre mondiale, sa compagne et deux enfants escroquent les gens en faisant mine de se jeter sous les roues des voitures et en réclamant ensuite aux conducteurs trompés des dommages et intérêts « à l'amiable ».

Le film suit donc les pérégrinations de cette petite famille qui doit sans cesse voyager pour ne pas se faire reconnaître. Cette traversée du Japon jusqu'au point le plus au Nord du pays (Hokkaido) pourrait être assimilée à une espèce de « road-movie » mais Oshima évite sans arrêt le « dépliant touristique ». A de rares exceptions près, il ne filme jamais les paysages que parcourent ses personnages. Le voyage est plutôt « intérieur » dans la mesure où le pays tout entier devient une sorte de piège à ciel ouvert. On retrouve alors l'obsession du cinéaste pour le thème de l'enfermement (qu'il développera d'une manière si sensuelle et si splendide dans L'empire des sens). Enfermement social d'une famille au cœur d'une société japonaise qu'Oshima n'a cessé de combattre, enfermement au cœur de la cellule familiale pour le jeune héros qui vit ici sous la coupe de son père et d'une belle-mère avec qui les relations sont conflictuelles au départ.

 

La beauté du Petit garçon, c'est que Nagisa Oshima revient d'une certaine manière aux leçons du néoréalisme italien (comment ne pas songer à Allemagne, année zéro en suivant la trajectoire de ce petit garçon au regard déjà dessillé sur l'existence?) tout en évitant systématiquement la tentation du naturalisme. Le film est à la fois un splendide tableau d'une société japonaise coincée entre les traumatismes de la guerre et de la dictature et l'avènement de la société de consommation mais ce « réalisme » est constamment stylisé. Les vingt dernières minutes, qui se déroulent dans des paysages neigeux, sont d'une beauté plastique stupéfiante. Quiconque a vu le film ne pourra plus jamais oublier cette petite botte rouge de la fillette qui marquera à jamais le petit garçon.

 

Par ailleurs, cet enfermement se retrouve également au niveau de la famille et des conflits de génération. Cela a déjà été dit mais il y a effectivement quelque chose d'Ozu dans Le petit garçon (notamment dans la rigueur de la mise en scène et la puissance des changements d'axe de caméra) où se dessine en filigrane une incompréhension majeure entre le père et le fils qui ne cesse de s'accentuer au fur et à mesure du voyage. Vétéran de guerre et invalide, le père représente cette génération sacrifiée portant en elle les anciennes « valeurs » patriarcales et guerrières du Japon (celles que Wakamatsu décrira avec une rare acuité dans Le soldat Dieu). Mais à la différence d'Ozu où les conflits étaient suggérés, décrits par un sentiment de mélancolie, par les non-dits et un certain malaise ; ils sont plus directement « ouverts » chez Oshima. Et l'échappatoire se trouve du côté des femmes. Si la belle-mère représente au départ une « ennemie » pour le petit garçon, celui-ci va progressivement s'en faire une alliée et les deux vont se lier pour échapper à l'emprise du père.

De la même manière, les taches de sang dans la neige et le rouge vif de la botte de la fillette renvoie à la couleur rouge du drapeau japonais qui flotte dans de nombreux plans. Le cinéaste joue de manière métonymique avec cette couleur qui symbolise à la fois l'oppression par une organisation sociale archaïque et le sacrifice de toute une jeunesse.

 

Si le « road-movie » américain représente une aspiration à une autre vie et une soif de liberté, le voyage initiatique que nous propose Oshima vise à souligner l'enfermement de l'individu japonais au sein de structures sociales arriérées. Lorsqu'il arrive au bout de son périple, le petit garçon regrette que le Japon ne fut pas plus grand. Pour ce jeune homme et sa famille, le pays est avant tout une prison à ciel ouvert et la fin, plutôt pessimiste, montrera qu'il n'y a aucune issue...

Retour à l'accueil