Usurpation d'identité

Big eyes (2014) de Tim Burton avec Amy Adams, Christoph Waltz, Terence Stamp, Jason Schwartzman

Usurpation d'identité

A vrai dire, nous n'attendions plus grand chose de Tim Burton dont les derniers films s'avéraient plutôt décevants (le très raté Alice au pays des merveilles, l'anodin Dark shadows...). Nous entendîmes plusieurs sons de cloche à propos de ce dernier opus : certains se montrèrent très élogieux, considérant Big eyes comme un Burton majeur tandis que d'autres le vouèrent immédiatement aux gémonies. Pour ma part, je trouve que le film ne mérite ni ces honneurs, ni ces excès d'indignité.

On voit immédiatement ce qui a pu plaire au cinéaste dans ce « biopic » relatant l'étrange histoire de Margaret Keane, peintre spécialisée dans les portraits d'enfants aux yeux énormes, qui se fait « voler » son œuvre par un mari mythomane et fanfaron qui s'attribue la paternité de ses tableaux. D'abord, ce côté « biopic » d'une artiste plutôt kitsch nous renvoie aux beaux jours du magnifique Ed Wood, d'autant plus que l'héroïne (incarnée par la belle Amy Adams) a un côté excentrique et anticonformiste très « burtonien » : elle est séparée d'un mari étouffant à une époque (début des années 60) où c'était très mal vu, elle fuit – en ouverture du film- un univers pavillonnaire aux couleurs pastel qui évoque furieusement Edward aux mains d'argent...

Ensuite, c'est du côté du mari qu'a dû se porter l'intérêt de Tim Burton. Interprété par un Christoph Waltz en roue libre, Walter Keane est un mythomane et un bateleur de la même trempe que le père fantaisiste de Big Fish. Son existence ne repose que sur des mensonges et une manière de mettre en scène sa propre vie qui pourrait être amusante si elle ne finissait pas par annihiler la présence de ceux qui le côtoient.

Enfin, les enfants aux yeux tristes que peint Margaret rappellent bien évidemment les créatures qui peuplent les films du cinéaste : solitaires, hors-normes et marginales.

 

Il y avait donc tous les éléments dans Big eyes pour que Burton renoue avec panache avec son univers en voie d'essoufflement. Même si le cinéaste n'y parvient pas totalement, commençons par dire que le film est agréable à suivre et qu'il est sans doute le plus réussi depuis Charlie et la chocolaterie (ce qui fait déjà un bail!). Les étapes de ce « biopic » sont narrées avec célérité et suffisamment d'humour pour séduire le spectateur le plus réticent. Burton s'amuse à recréer un tableau kitsch des années 60 avec des couleurs acidulées et des personnages semblant sortir des magazines féminins de cette époque. En prenant comme héroïne Margaret Keane, le cinéaste semble vouloir réfléchir sur sa pratique de cinéaste et analyser ce qui fait le succès ou pas d'une œuvre, raillant ici le critique austère qui méprise « ce qui marche », égratignant là le caractère marchand d'un mari sans scrupule qui n'y connaît rien en peinture. Margaret, d'une certaine manière, c'est Tim Burton confronté aux grands studios (on se souvient de la malheureuse aventure du retour chez Disney pour Alice) qui s'accaparent sa marque de fabrique pour en faire une marchandise aseptisée.

 

Une fois ces qualités soulignées, il faut reconnaître que le cinéaste peine à retrouver l'inspiration d'Ed Wood. Big eyes est un film qui ronronne un peu, peut-être parce que Burton a justement trop conscience de ses effets et qu'il n'a plus la croyance qui animait sa biographie du « plus mauvais cinéaste au monde ». Le personnage d'Ed Wood avait une foi en son art et une naïveté (il était persuadé d'être un génie) qui font défaut à Margaret Keane. Le cinéaste ne croit pas trop en son talent et se contente de sa dimension « kitsch » pour faire du kitsch.

C'est sans doute le principal défaut de Big eyes qui revisite les figures connue d'une œuvre mais avec une conscience trop aiguë de « faire du Burton ». Il manque cette fraîcheur, ce doux anticonformisme qui faisait le prix d'Edward aux mains d'argent ou d'Ed Wood.

 

Mais encore une fois, comparé à ses dernières œuvres, ce « biopic » enlevé se révèle être une bonne surprise et se suit sans le moindre déplaisir...

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