Le prince de Hombourg (1996) de Marco Bellocchio avec Andrea Di Stefano (Editions Carlotta Films)

L'individu contre la raison d'état

Présenté à Cannes en 1997, Le prince de Hombourg n'a, par la suite, jamais été distribué en France. Curieux destin pour le film du plus grand cinéaste italien vivant (avec Moretti) mais qui s'explique peut-être par le fait que la carrière de Bellocchio connut un coup d'arrêt après le scandale du Diable au corps. Même si j'aimerais beaucoup découvrir La sorcière, Autour du désir ou encore Le rêve de papillon, ses films n'ont pas la réputation de compter parmi les œuvres majeures du cinéaste et ils ont été peu vus (je me souviens néanmoins d'un bel éloge d'Autour du désir par Thierry Jousse).

Avant de redevenir un cinéaste de premier plan avec des œuvres magnifiques comme Le sourire de ma mère ou Buongiorno notte, Bellocchio a mis en scène cette adaptation de la célèbre pièce de Kleist.

 

Commandant rêveur de la cavalerie du Brandebourg, le prince de Hombourg se laisse distraire par un gant abandonné par sa fiancée qu'il a trouvé une nuit de somnambulisme. Mélangeant rêve et réalité, il désobéit aux ordres de l’Électeur et prend l'initiative de lancer une attaque. En dépit de la victoire de l'armée, l’Électeur souhaite une punition exemplaire pour le Prince...

 

En adaptant ce grand classique du romantisme allemand, Bellocchio parvient à traiter une fois de plus le sujet qui hante toute son œuvre : le rapport de l'individu aux structures sociales et son aliénation. On sait que le romantisme marqua l'avènement au premier plan de l'individu et de la subjectivité. Le prince incarne toutes les valeurs du romantisme : le goût pour la nuit et la rêverie, l'idéalisme amoureux... Même s'il est certainement difficile de classer Bellocchio comme cinéaste « romantique », il est aisé de voir ce qui a pu l'intéresser dans cette pièce : l'opposition de l'individu contre une « raison d’État » et la puissance de l'inconscient (le rêve) qui fait échapper lesdits individus à l'enfermement social.

 

La mise en scène traduit parfaitement ce rapport conflictuel entre l'individu et les forces oppressives de la société. Bellocchio épouse le point de vue du prince en recourant généralement à de longues focales qui rendent l'arrière-plan flou. Les individus qui l'entourent apparaissent alors comme dans un songe : des silhouettes difficilement identifiables dont les paroles sont toujours sujettes à caution. A ce titre, la séquence qui ouvre le film et celle qui le conclue sont absolument magnifiques, jouant sur cette ambiguïté de la perception : est-ce le point de vue subjectif du rêveur (et ses visions de réconciliation générale au-delà des conventions militaires et sociales) ou la « réalité ».

 

Bellocchio parvient également à mettre joliment en valeur le personnage de la fiancée du Prince, petite Antigone qui intercède pour lui auprès de l’Électeur lors d'une belle scène qui marque une fois de plus l'opposition entre la raison individuelle (l'amour) et la raison d’État. Par la manière qu'il a d'accorder de l'importance à cette subjectivité, Bellocchio parvient à éviter que son adaptation sombre dans l'académisme. Il ne s'agit pas pour lui d'illustrer une pièce classique mais bel et bien de confronter des points de vue et d'épouser celui de l'individu luttant contre l'enfermement.

 

Après, en dépit de toutes ses qualités (mise en scène, photographie sublime, lumière...), je dois reconnaître qu'à l'instar de Vincere, Le prince de Hombourg est un film qui me touche moins que certaines œuvres de Bellocchio. Peut-être parce qu'il y avait déjà là cette tentation du cinéaste de réaliser un film comme on met en scène un opéra et que ce lyrisme me laisse un peu froid. Contrairement à des œuvres réputées plus mineures que j'aime énormément (Le metteur en scène de mariage, La belle endormie), Le prince de Hombourg me paraît parfois un peu figé dans son contexte historique et théâtral.

 

Que cette réserve ne vous éloigne cependant pas des écrans : le film de Bellocchio mérite d'être découvert et s'inscrit parfaitement dans l’œuvre essentielle de ce cinéaste.

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