Alfred Hitchcock présente... (The Alfred Hitchcock hour) : Saison 1 (1962) de et avec Alfred Hitchcock. (Éditions Elephant films) Sortie en DVD le 24 juin 2015

Good evening, ladies and gentlemen...

C'est au milieu des années 50 qu'Hitchcock commence à s'intéresser sérieusement à la télévision. Poussé par son agent Lew Wasserman qui était alors à la tête de la MCA (une des grandes agences artistique de l'époque), le cinéaste va asseoir sa popularité en Amérique en créant la série Alfred Hitchcock présente qui comptera 7 saisons diffusées de 1955 à 1962 sur les chaînes CBS puis NBC. Le maître tournera une vingtaine d'épisodes sur les 268 que comptera une série demeurée célèbre pour la manière dont Hitchcock intervient au début de chaque histoire afin d'introduire de manière humoristique le film.

En 1962, le concept de la série est repris avec The Alfred Hitchcock hour (Suspicion en français) pour trois saisons et 93 épisodes. Cette fois, les épisodes ne durent plus 26 minutes mais 48 et Hitchcock intervient au début et au milieu de chaque récit avec son inimitable élocution et son sens de l'humour noir. L'épisode où il s'entraîne à devenir tatoueur sur des morceaux de bidoche (au moins, s'il rate son coup, il aura un bon repas!) est savoureux, notamment lorsqu'il imagine une nouvelle manière de concevoir la publicité en les tatouant sur les flancs des vaches !

C'est donc la première saison de cette série que réédite aujourd'hui Elephant films, nous permettant de découvrir de nombreux épisodes inédits.

 

Si la plupart des épisodes sont réalisés par des cinéastes aujourd'hui assez oubliés, il convient de noter qu'Hitchcock s'est lui-même attelé à la réalisation de l'épisode 4 (J'ai tout vu) et que l'épisode 9 (The black curtain) est signé d'un certain... Sidney Pollack. Mais c'est surtout au niveau de la distribution que la série réserve des surprises puisqu'une pléiade de stars y ont participé. Citons en particulier James Mason et Angie Dickinson (épisode 4), Gena Rowlands (épisode 11), Jane Mansfield (épisode 12), Peter Falk (épisode 13) ou encore Anne Francis (épisode 16).

 

La force de la série, en dépit du caractère (forcément) inégal des épisodes, c'est cette unité qu'elle parvient à conserver grâce à la personnalité d'Hitchcock. Cette manière qu'il a d'intervenir au début de chaque épisode avec le flegme légendaire qu'on lui connaît n'est pas pour rien dans ce sentiment. Son sens de l'humour, de l'absurde et sa haine carabinée de la publicité nous vaut de savoureux moments qui permettent également de donner un style à la série et sa cohérence.

Ce style, il faut bien évidemment le qualifier d' « Hitchcockien » puisqu'il s'agit exclusivement de récits criminels se présentant sous diverses formes : machinations, film de procès, thriller, film noir... Les moins intéressants sont sans doute ceux qui se réduisent à une simple mécanique scénaristique. Je pense par exemple à Hangover (épisode 12) qui met en scène un alcoolique notoire (Tony Randall). Chaque « gueule de bois » permet de « trouer » une narration que de nombreux flash-back viendront colmater. La mécanique est parfaitement huilée mais n'aboutit qu'à une conclusion finalement assez prévisible. De la même manière, Bonfire (épisode 13) ne réserve pas beaucoup de surprises. Peter Falk y incarne un pasteur fanatique qui laisse mourir une riche donatrice pour sa mission puis séduit sa nièce. Le passé de cet homme resurgira à la fin de l'épisode, laissant éclater sa folie. Trop bavard pour séduire constamment, cet épisode présente néanmoins l'intérêt de traiter un thème cher à Hitchcock : le mélange entre la religiosité et le Mal (voir La loi du silence).

 

Good evening, ladies and gentlemen...

Retrouver les thèmes fétiches du cinéaste dans ces moyens-métrages est un exercice aussi plaisant que stimulant. Il est relativement aisé de voir ce qui peut s'inscrire dans l’œuvre hitchcockienne dans ces exercices de style souvent brillants : le thème du faux-coupable comme dans The thirty-first of February (épisode 15), récit assez angoissant ou dans le film de procès What really happened (épisode 16) qui est, par ailleurs, une très belle variation sur le thème des points de vue contradictoires.

Dans Final Vow (épisode 6), une nonne (la très séduisante Carol Lynley) se fait voler une statue de Donatello qu'elle devait rapporter à sa mère supérieure. Elle va quitter les ordres et tenter de retrouver le voleur. Dans ce film, c'est le thème hitchcockien de la rédemption (le généreux donateur de la statue est un ancien criminel, ami avec la mère supérieure) qui fournit le combustible à la narration. On retrouve également une opposition chère au cinéaste : celle de la blonde « pure » mais inaccessible à la brune explosive et charnelle (la petite amie du voleur).

 

L'épisode 5, Le traquenard, pourrait être vu comme une sorte de variation « auditive » de Fenêtre sur cour. En effet, le « voyeur » est ici remplacé par un éditeur et un écrivain en herbe qui écoutent les bandes magnétiques que leur envoie un célèbre auteur de polar (James Mason). Celui-ci évoque la manière dont il a perdu sa femme et dont il a rencontré la diabolique Angie Dickinson. Il confie également sur bande la manière dont il compte l'assassiner en réalisant le « crime parfait ».

Le film est habile dans la manière qu'il a de constamment laisser planer le doute entre ce qui est de l'ordre de la « fiction » (est-ce que l'écrivain est en train de dicter son nouveau roman) ou la réalité (projette-t-il vraiment de tuer?). Ceux qui l'écoutent sont comme les spectateurs sur leurs fauteuils : passifs. Et comme dans Fenêtre sur cour, ils seront poussés à passer de l'autre côté de la barrière et à agir.

Le plus « hitchcockien » et le plus réussi des épisodes de la série (je précise néanmoins qu'en raison d'un problème de DVD, je n'ai pas vu les quatre premiers) est sans doute Annabelle (épisode 7), sorte de récit hybride entre Vertigo et Psychose (film qui a été, on le rappelle, tourné avec les moyens et une équipe de production télévisuelle). Dean Stockwell y incarne un chimiste obsédé par Annabelle, une femme mariée. Il lui envoie régulièrement des lettres enflammées, des cadeaux somptueux et se rend tous les week-ends à la campagne pour préparer « leur » maison. De Vertigo, on retrouve ici un personnage obsédé par l'image d'une femme et qui de manière névrotique va tenter de modeler sa créature pour qu'elle corresponde parfaitement à l'image qu'il s'en fait et lui offrir un parfait cénotaphe. Mais Stockwell est surtout une espèce de nouveau Norman Bates avec ce que cela suppose de double personnalité et de folie furieuse (cette fois, c'est la figure du père décédé qui plane sur le récit). L'épisode est particulièrement réussi grâce à son climat névrotique et à son finale glaçant.

Très réussi également, The black curtain (épisode 9) de Sidney Pollack où une agression permet à un homme de retrouver la mémoire après trois ans d'amnésie. Il réalise alors qu'il a raté un mariage et qu'il vit désormais sous une autre identité, manipulé par des gangsters. On songe un peu à La mort aux trousses (l'individu qu'on prend pour un autre) en découvrant ce film noir joliment soigné (Pollack accorde un soin particulier au cadre, aux contrastes entre le noir et le blanc) et qui laisse constamment planer des zones d'ombre, se gardant de résoudre tous les points obscurs du scénario. Cette manière de ne pas trop « boucler » le récit fait aussi l'intérêt de Ride the nightmare (épisode 11), épisode adapté par Richard Matheson où un gangster repenti se voit rattrapé par son passé. Interprété entre autres par la sublime Gena Rowlands, le film est un véritable thriller haletant dans sa première partie (celle où le couple est traqué dans sa propre maison par un mystérieux agresseur) avant de virer au film noir avec poursuite dans la campagne et règlements de compte.

 

Plus classique, certains films nous proposent des machinations retorses, que ce soit House guest (épisode 8) où un homme sauve de la noyade un petit garçon et s’incruste peu à peu dans une famille de plus en plus gênée par cette présence ou encore The tender poisoner (épisode 14), brillant puzzle construit autour de quatre personnages se livrant à un véritable jeu d'échec qui évolue à mesure qu'une pièce se déplace. Dans le premier cas, on songe un peu à Harry, un ami qui vous veut du bien avec la présence d'un être a priori débonnaire et aimé de tous qui devient de plus en plus inquiétant tandis que le deuxième tourne autour de l'idée du crime parfait (un poison invisible) ou chaque personnage est à la fois manipulateur et manipulé.

 

Pour terminer, évoquons le curieux épisode 10 intitulé L'autre homme. Découvrant que son épouse a un amant et qu'elle veut le quitter, un homme la pousse d'un bateau et elle se noie. Si l'enquête conclue à l'accident, le héros est ravagé par la culpabilité et avoue son crime à ses proches. Mais plutôt que de le dénoncer, ceux-ci vont le pousser à dissimuler et le dissuader de s'accuser. Sur ce thème, Claude Chabrol avait réalisé le (trop) méconnu Juste avant la nuit et on retrouve ici les mêmes motifs. Les sanctions de la justice humaine paraissent finalement moins cruelles que la propre culpabilité qui ronge le meurtrier.

 

Good evening, ladies and gentlemen...

Une fois de plus, c'est cette manière d'aborder tous les thèmes hitchcockiens sur un mode plus modeste et ludique qui fait l'intérêt de cette série. Du coup, on a hâte de découvrir les prochaines saisons annoncées pour bientôt en DVD...

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