Cinéma(ra)t(h)on : J-111
Cinématon 2581-2610 (2012) de Gérard Courant
Après quelques mois d'une inactivité toute relative, j'ai décidé de reprendre ma course de fond et de me relancer dans les Cinématons. Retour à Dubaï pour deux jours d'avril 2012 particulièrement chargés pour Gérard Courant qui a enchaîné les portraits.
Pour le spectateur, la reprise est plus douce dans la mesure où aucun portrait ne se distingue vraiment du lot. Une certaine lassitude pourrait même nous gagner dans la mesure où les lieux sont toujours un peu les mêmes et que les visages nous sont parfaitement inconnus.
Du coup, profitons de cette étape pour évoquer en toute impudeur les conditions dans lesquelles j'ai regardé ces portraits. D'habitude, conscient du sérieux de ma démarche, j'adopte une attitude monacale et regarde « le film le plus long » sur mon téléviseur après avoir pris soin de faire l'obscurité. N'étant pas chez moi hier, je me suis contenté d'un simple ordinateur et j'ai décidé d'agrémenter ma séance en écoutant de manière aléatoire ma playlist sur Spotify.
N'allez pas crier à l'hérésie : si les Cinématons sont projetés aujourd'hui dans des salles particulièrement silencieuses (j'en ai fait l'expérience autrefois à Nice), Gérard Courant raconte que les séances organisées au Studio 43 dans les années 80 s'apparentaient à de véritables happening où les spectateurs n'hésitaient pas à réagir en direct, à commenter de manière sarcastique ou laudative chaque portrait... Récemment, on a vu également certains de ces Cinématons projetés pendant des concerts de rock, preuve que la musique peut parfaitement s'accommoder avec ces films muets.
Il est d'ailleurs amusant de constater à quel point l'accompagnement musical peut participer entièrement à ce que l'on appelle « l'effet Koulechov » et donner aux images un sens totalement différent dans l'esprit du spectateur. Et souvent, le hasard fait bien les choses, faisant entendre les applaudissements du public d'un enregistrement « live » juste à la fin d'un portrait, par exemple.
En regardant le film de Christina Nawab (n°2581), fumant sa cigarette et jouant avec son portable, j'ai eu l'impression qu'elle dodelinait de la tête en écoutant, comme moi, la chanson de Thomas Fersen Saint-Jean-du-Doigt. De la même manière, le Goodbye friend de Cashier No 9. donna une aura très « rock'n'roll » au portrait du photographe afghan Sear Rashiq (n°2583).
Le Maybe de Janis Joplin se marie fort bien avec la très belle lumière qui nimbe le beau visage de l'étudiante jordanienne Diana Salem (n°2586) alors que la musique d'Air (tirée de la bande-originale de The virgin suicides) creuse la dimension mélancolique du portrait du journaliste et peintre irakien Assem Alrubely (n°2589) et donne une certaine profondeur aux regards qu'il jette vers le hors-champ.
Autant le visage fatigué de baroudeur revenu de tout du cinéaste irakien Hadi Mahood (n°2588) s'accorde parfaitement avec des morceaux « rock » (Knocking on heaven's door, People are strange des Doors), autant Aristide Bruant (repris ici par Renaud) ne convient pas du tout au visage enturbanné du jordanien Osama Jibril (n°2593).
Le portrait de l'émirati Yaqoob Al Zarouni (n°2594) fut presque miraculeux dans la mesure où il a débuté en même temps que la chanson et s'est terminé (quasiment) de la même manière. A l'écran, l'homme semble lire tandis que de mon côté, j'écoutais Boris Vian entonner son Déserteur. La coordination entre les deux fit que j'eus vraiment l'impression de voir l'employé du festival lire la fameuse lettre qu'adressa le poète à « monsieur le président » ! A tel point qu'Al Zarouni enlève ses lunettes au moment exact où le chanteur annonce qu'il s'en va déserter !
D'autres hasards furent presque aussi heureux, comme cette illustration du portrait de Yassir Hameed, (n°2605), cinéaste irakien, par la Chanson de Maglia de Gainsbourg (d'après Hugo). L'homme a l'air tellement triste et bourru que les célèbres paroles du poème (« Vous êtes bien belle et je suis bien laid/A vous la splendeur de rayons baignée ;/A moi la poussière, à moi l'araignée . ») accentuent la déprime tranquille du film. Il faut également citer l'arrivée incongrue du Miss Maggie de Renaud sur l'image de la présentatrice de télévision tunisienne Hanene Khelil (n°2608). Ses grimaces puériles, ses sourires radieux et ses mimiques enfantines finissent par donner raison au chanteur lorsqu'il affirmait qu' « aucune femme n'est assez minable/ pour astiquer un revolver/ et se sentir invulnérable/ à part peut-être madame Thatcher » !
En revanche, petite déception lorsque est arrivée la seule chanson de ma liste aux accents un peu arabisants (La pantomime de Debout sur le zinc) car le portrait du cinéaste irakien Melak Abd Ali Mnahi (n°2606) n'est pas suffisamment dynamique pour s'accorder avec le rythme ensorcelant du titre.
Et puisque le hasard fait quand même bien les choses, le dernier portrait (Halkawt Mustafa, n°2610, un autre cinéaste irakien, croisement improbable entre Mathieu Amalric et Philippe Torreton) fut accompagné par une parfaite chanson de clôture : le Only you des flying pickets...