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Soft and hard (1985) de et avec Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville
Après un petit séjour de trois ans à Grenoble, Jean-Luc Godard quitte définitivement la France pour s'installer à Rolle, sur les bords du lac Léman, entre Lausanne et Genève avec sa nouvelle compagne Anne-Marie Miéville. Il est intéressant de voir la place que le jeune femme occupe dans l’œuvre du cinéaste dans la mesure où sa création est toujours restée intimement liée à ses relations amoureuses. Contrairement à Anna Karina et, dans une moindre mesure, Anne Wiazemsky ; Anne-Marie Miéville n'aura jamais le statut de « muse » du poète mais plutôt celui d'une « partenaire » comme on l'entend dans une équipe sportive. Avec elle, il peut co-réaliser des films (Comment ça va, par exemple) et discuter sur un pied d'égalité de sa pratique de cinéaste.
Soft and hard, moyen-métrage d'une cinquantaine de minutes en vidéo, commandé par la télévision britannique, montre très bien le lien de complicité (intellectuelle et amoureuse) qui lie Godard et Miéville. Une bonne partie du film est d'ailleurs constitué d'un long dialogue où ils évoquent les rapports entre la télévision et le cinéma, la question de la projection (le cinéma part du sujet pour se projeter tandis que la télé annihile le sujet, elle l’assujettit ) mais également de leur rapport aux images : la timidité d'Anne-Marie Miéville pour se « lancer » et la difficulté pour Godard d'écrire un dialogue amoureux dans Détective.
Soft and hard est un bel essai et sans doute l'un des films les plus intimes de Godard. Il montre ici, en toute simplicité, son quotidien avec sa compagne : les promenades au bord du lac, des discussions dans le salon, le travail d'Anne-Marie Miéville sur une table de montage... Lui-même se montre au lit ou en train de regarder un match de foot sur un écran de télévision. Il fait également le pitre devant la caméra, jouant au tennis chez lui mais sans la balle.
Ce petit film qui pourrait n'être qu'une œuvre mineure au sein de la filmographie de Godard finit par distiller une petite musique assez entêtante. D'une part parce que le cinéaste s'y livre en catimini, lisant une lettre d'enfant à son père qui pourrait avoir été écrite par lui ou s'interrogeant de façon très personnelle : « Si j'ai choisi de faire des images plutôt que des enfants, est-ce que ça fait quand même de moi un être humain ? »
La création est ici envisagée comme le fruit privilégié d'un couple : les mots qu'il échange avec sa compagne sont montés de manière dynamique avec des images télévisuelles qui ne disent rien. Le « soft and hard » du titre signifie qu'il s'agit de « discuter doucement » (« soft talking ») sur des sujets graves (« hard subject »). Trouver une voie (voix?) singulière au sein de cet immense et insipide raz-de-marée audiovisuel.
Sans en avoir encore l'ampleur, Soft and hard annonce les grands films funèbres (notamment les Histoire(s) du cinéma ou JLG/JLG) de Godard.
Ce petit film « domestique », qui n'a l'air de rien, mérite donc amplement d'être (re)découvert...