Comédie du remariage
La Dame du vendredi (1940) d’Howard Hawks avec Cary Grant, Rosalind Russell, Ralph Bellamy
Screwball comedy échevelée, La Dame du vendredi peut aussi se voir comme l’archétype même de ce que Stanley Cavell a nommé la « comédie du remariage ».
Journaliste brillante, Hildy (Rosalind Russell) va trouver son ex-mari et employeur Walter Burns (Cary Grant) pour lui annoncer qu’elle épouse un modeste assureur et quitte son emploi pour changer de vie. Hâbleur et manipulateur, Burns ne l’entend pas de cette oreille et tente de la convaincre de rester pour couvrir une affaire judiciaire : pour des raisons électorales, Earl Williams doit être pendu le lendemain matin alors que le journal tente d’obtenir pour lui une remise de peine…
Dès les premières minutes, le spectateur est convaincu que ce couple est fait pour se rabibocher et couler ensemble des jours heureux. Mais toute l’habileté de Hawks va consister à rabattre les enjeux sentimentaux du récit (parvenir à récupérer son ex-femme pour l’épouser à nouveau) sur des enjeux « professionnels ». Il ne s’agit pas pour Walter de séduire Hildy qui le connaît trop bien pour ça mais de la « ferrer » avec un scoop juteux. La Dame du vendredi devient alors une course contre la montre haletante : à la fois trouver les mots pour empêcher une condamnation à mort douteuse, déjouer les plans machiavéliques de politiciens véreux et, accessoirement, empêcher Hildy de prendre son train en compagnie de son futur époux.
Adapté d’une pièce de théâtre qui connaîtra un certain succès à l’écran puisqu’avant la version d’Howard Hawks, Lewis Milestone l’avait transposée au cinéma en 1931 (The Front page) et que Billy Wilder puis Ted Kotcheff en proposeront également une nouvelle version ; La Dame du vendredi pourrait souffrir de cette origine et d’une mise en scène un peu ingrate (unité de lieu, beaucoup de dialogues…). Le génie du cinéaste va résider dans cette manière de faire crépiter les répliques et de faire accélérer au maximum le rythme à ses comédiens.
Comme dans L’Impossible monsieur bébé, il y a une véritable dimension enfantine dans les gestes et les mots frénétiques des personnages : coups de pied sous la table, cachette dans un bureau, rosseries permanentes… Il faut voir comment Walter s’y prend pour éloigner systématiquement et de manière malhonnête son rival et sa mère.
Mais ce qui surprend, c’est aussi le fond de gravité qui sourd constamment de ces jeux très drôles.
Une des scènes les plus étonnantes est celle où une jeune femme se défenestre pour aider le condamné à mort qui est parvenu à s’évader et à se cacher. Tout à coup, le rire se fige et de la même façon qu’il filme les femmes comme les hommes et vice-versa, Hawks parvient à montrer l’horreur du monde adulte à travers des jeux enfantins.
Derrière la comédie légère d’un remariage attendu se devine la corruption politicienne, le cynisme d’une presse prête à tout pour un bon scoop et des personnages qui utilisent les pires méthodes pour parvenir à leurs fins (voir le personnage de Louis, homme à tout faire de Walter mais véritable petit truand).
Du coup, même si La Dame du vendredi reste une comédie enlevée souvent très drôle, notamment grâce à l’abattage comique du couple Cary Grant et Rosalind Russell ; c’est un arrière-goût amer qui reste dans la bouche. La légèreté n’est ici qu’une façade pour décrire un univers trouble et l’enjouement de la réconciliation finale masque une vision du monde finalement assez désenchantée (il est fait quelques allusions à la situation du moment -1940- en Europe).