Arnaque à l'assurance
Assurance sur la mort (1946) de Billy Wilder avec Barbara Stanwick, John MacMurray, Edward G. Robinson
Le problème lorsqu’on découvre un grand classique du cinéma, c’est de passer après tout le monde. Il ne reste plus alors qu’à se contenter d’accumuler les superlatifs ou d’égrener tous les éléments les plus connus du film.
Dire, par exemple, qu’Assurance sur la mort est le plus beau film de Billy Wilder et l’un des plus grands classiques du film noir. Rappeler qu’il s’agit d’une adaptation de James Cain et que c’est un autre immense auteur du roman noir (Raymond Chandler) qui en a rédigé l’adaptation (il s’est d’ailleurs très mal entendu avec Wilder).
L’une des caractéristiques des très grands films, c’est leur manière de fixer pour l’éternité certains archétypes. De cette tentative d’escroquerie à l’assurance, on retiendra notamment le personnage de « femme fatale » qu’incarne la grande Barbara Stanwick. Que ce soit la petite chainette qu’elle porte à la cheville ou la cigarette qu’elle fume, tous ces accessoires peaufinent l’image de la parfaite garce, de la manipulatrice qui joue de son charme pour parvenir à ses fins et qui n’agit que par vénalité. D’aucuns pourront trouver ce portrait plutôt « misogyne » (en se référant aux piètres grilles de lecture actuelles) mais ça serait oublier que cette femme tire, en fait, toutes les ficelles du jeu et que c’est elle le personnage le plus fort.
Assurance sur la mort séduit également par le brio de sa construction. Bien avant Boulevard du crépuscule, Wilder débute son film par la fin et procède par un long flash-back. Même si Walter Neff est toujours vivant lorsqu’il débute sa confession, le spectateur devine que tout est désormais perdu. Le cinéaste perd en « suspense » ce qu’il gagne en atmosphère. Jouant sur des lumières absolument splendides, Wilder rend à merveille le poids de la fatalité et du destin. Alors qu’il pense avoir réalisé le crime parfait, Walter sent que quelque chose ne fonctionne pas et dit « je n’entendais plus mes pas : c’étaient ceux d’un homme mort ».
Pour créer cette atmosphère, le cinéaste mêle à la fois des éléments criminels et une histoire de passion amoureuse qui finira mal. On reconnaît d’ailleurs la patte de Cain et de ces machinations qui finissent par se retourner contre un « dindon de la farce » (Cf. Le Facteur sonne toujours deux fois) et le destin qui se joue des amants maudits.
Extrêmement bien écrit, le film offre également un écrin de choix pour des performances d’acteurs parfaites. John MacMurray s’en sort très bien, Stanwick est inoubliable et on s’en voudrait de ne pas citer l’excellent Edward G.Robinson, véritable détective des assurances qui flaire tous les mauvais coups. Par l’intermédiaire de ce personnage, Wilder ajoute la touche d’humour caustique qui caractérisera son cinéma et nous offre quelques moments de bravoure. On peut même repérer une réplique (« nul n’est parfait ») qui annonce, de manière moins légère, celle qui conclura fameusement Certains l’aiment chaud.
Avec Assurance sur la mort, Wilder refuse de laisser au spectateur le soin de s’identifier à un héros « positif ». Les deux personnages principaux sont des meurtriers et, pourtant, on vibre avec eux et on aimerait qu’ils s’en sortent. C’est ce qui fait le parfum vénéneux de ce film qui sonde avec justesse les recoins les plus sombres de l’âme humaine, ceux où la raison se perd dans les brumes de la passion et de l’appât du gain.
Tout est parfait dans ce film : la mise en scène d’un classicisme souverain, la narration complexe et parfaitement maitrisée, l’interprétation, la lumière, la musique… Bref, comme je le disais au début, on en revient à la litanie des éloges (mérités) et puisque tout a été dit, il suffit de rappeler qu’Assurance sur la mort est tout simplement un admirable chef-d’œuvre.